vendredi 11 septembre 2009

Choisir entre ou associer les interventions tutorales proactives et réactives. Par Jacques Rodet


Natura Mondi
, Giorgio Morandi, 1962
Sandrine Decamps, Christian Depover et Bruno De Lièvre dans leur article intitulé "Moduler l'encadrement tutorale dans la scénarisation d'activités à distance" s'intéressent aux différentes modalités de tutorat sur les apprentissages réalisés dans le cadre d’une formation organisée à distance. Ils traitent plus particulièrement des trois caractéristiques suivantes de la mise en oeuvre de l’encadrement tutoral : i) modalité d'intervention réactive ou proactive ; ii) la temporalité des interventions tutorales ; iii) les fonctions de l'encadrement tutoral.

Je m'intéresse, ici, à la première de ces caractéristiques, à savoir la réactivité et la proactivité.
La proactivité et la réactivité du tuteur ont souvent été présentées comme deux options divergentes. Soit l'une, soit l'autre serait à privilégier. J'ai déjà eu l'occasion de dire qu'à mon sens, ces deux modalités devraient davantage être associées qu'opposées : "Le choix [de l'intervention proactive ou réactive] s'effectuera en fonction des caractéristiques des apprenants, du moment de la formation, du type de support à fournir, de l'effet recherché, etc." (cf. Le tuteur à distance en quête d'équilibre...).

Si le titre du paragraphe de Decamps, Depover et De lièvre "De la modalité d’intervention réactive à la proactivité" semble indiquer une évolution (constatée ? souhaitée ?) dans les pratiques tutorales, les auteurs indiquent clairement leur point de vue qui rejoint celui de Quintin (cf. Paroles de chercheur : Jean-Jacques Quintin et le billet que nous avons consacré à sa thèse), à savoir : "Nous sommes en accord avec Quintin (2007) qui situe le modèle proactif plutôt dans une approche constructiviste et socialisante du processus d'apprentissage. Les interventions proactives sont plus souvent centrées sur le processus alors que les interventions réactives sont davantage ciblées sur le produit de l’apprentissage."


Il apparait donc que le choix de la proactivité ou de la réactivité rejoindrait celui de l'orientation pédagogique de la formation et qu'en particulier, dès lors que celle-ci s'inscrit dans le paradigme constructiviste, il serait nécessaire de favoriser la proactivité des interventions tutorales. Il va de soi que si l'on vise la construction de connaissances et non pas simplement leur exposition dans le but, bien incertain, de leur transfert, le tuteur doit investir un rôle de facilitateur et de médiateur entre les apprenants. Pour ce faire, il lui faut effectivement adopter une posture proactive ne serait-ce par exemple que pour permettre la constitution du groupe, et enclencher le processus collaboratif. Toutefois, je tiens à souligner, que même dans une perspective collaborative et socialisante, le tuteur doit mesurer ce que ses interventions proactives peuvent faire perdre en autonomie au groupe d'apprenants. "Aider à collaborer ne signifie pas jouer le rôle de chef d'équipe mais bien plus de venir en aide aux apprenants, tant de manière collective qu'individuelle, afin que les apprenants puissent atteindre leurs buts d'activités et de formation ainsi qu'une réelle autonomie de fonctionnement." (Rodet, à paraître, Formes et modalités de l'aide apportée par le tuteur).

Decamps, Depover et De Lièvre rappellent dans leurs conclusions que ce n'est pas tant le nombre mais bien la qualité des interventions tutorales qui est déterminant pour l'amélioration des performances des apprenants. "...Ceci rejoint les résultats de plusieurs recherches qui tendent à montrer que ce n’est pas le nombre d’interactions qui influence les performances, mais plutôt la nature de celles-ci (Webb 1985, Cohen, 1995 cités par Gillies & Ashman, 2003, Quintin, 2007)."

Une autre de leurs conclusions est la suivante : "
...nos résultats ne permettent pas de mettre en avant les bénéfices d’apprentissage liés à la mise en oeuvre d’une modalité particulière de tutorat. En effet, le tutorat proactif tel qu’il est proposé dans le cadre de cette recherche ne se différencie pas de la modalité réactive, si ce n’est par le fait que les apprenants ont effectivement perçu une différence quant au nombre de messages que les tuteurs leur ont délivrés selon la condition expérimentale qui leur avait été assignée. Ces résultats nous incitent à penser que la modalité proactive, telle que nous l’avons appliquée, ne se distingue pas suffisamment de son correspondant réactif pour induire un effet significatif de la modalité de tutorat."

Je vois là une convergence avec l'option qui est la mienne d'une articulation entre activités proactives et réactives qui passe par une spécification du recours à ces modalités. Ne pas faire la même chose, ou viser les mêmes objectifs de soutien à l'apprenant, mais au contraire préciser lors de la phase d'ingénierie tutorale quels sont les buts et les situations dans lesquelles adopter une posture proactive ou réactive me semble de nature à mieux répondre aux besoins des apprenants et à ne pas s'enfermer dans un choix exclusif , voire dogmatique, entre proactivité et réactivité.


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