mardi 27 avril 2010

Paroles de chercheur : Jean Loisier


Jean Loisier, Ph.D en Sciences de l'Education, U. de Montréal, expert-conseil
en communication est l'auteur d'un récent mémoire réalisé pour le REFAD : Mémoire sur l'encadrement des étudiant(e)s dans les formations en ligne offertes aux différents niveaux d'enseignement.

Suite à la publication de ce mémoire, il a accepté chaleureusement l'idée de cet entretien à distance qui vient enrichir notre rubrique "Paroles de chercheur". J'espère que sa lecture permettra à ceux qui ont déjà pris connaissance du mémoire de Jean, d'approfondir leur connaissance de sa pensée et aux autres de la découvrir.



Jacques Rodet :
Dans la première partie du mémoire, tu fais un rapide tour de l'historique des différentes sortes de formations à distance et de celles utilisant la technologie. Tu procèdes aussi à la distinction entre formations asynchrones et synchrones. Aujourd'hui, comme tu le soulignes, nous pouvons constater une mixité de ces formes au sein d'un même dispositif de formation. Quel est ton sentiment sur cette évolution ?


Jean Loisier : Je n’ai pas vraiment de « sentiment » en regard de cette évolution; je ne fais que la constater.


J.R. : Est-elle inéluctable ?

J.L. : L’histoire des techniques développées par l’homme pour communiquer à distance et transmettre sa pensée et ses connaissances à travers le temps nous montre que le perfectionnement de ces techniques se fait selon un principe de facilitation de la communication humaine. Celle-ci repose sur trois activités intellectuelles : le traitement des données de l’environnement, la mémorisation et l’échange d’informations par interaction avec autrui. Le perfectionnement de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les TICs, vise à soutenir ces trois activités. Les développements se font donc dans trois secteurs : programmes de traitement des données complexes (reconnaissance de formes, de processus, etc.), accroissement des capacités de mémoire des supports, et accroissement des capacités des télécommunications (bandes passantes) et de disponibilités d’accès (mobilité).

Quant à distinction entre « synchrone » et « asynchrone », elle était pertinente lorsque les télécommunications synchrones (par exemple : téléphone) étaient réservées à des échanges pour des décisions rapides ou des coordinations d’actions collectives, alors que tous les autres échanges d’informations passaient par le courrier postal. Aujourd’hui, la diachronie (asynchronie) est minimisée par l’instantanéité des moyens de transmission qui fait que, parfois, certains échanges successifs par courriel ressemblent à de la messagerie instantanée ou au clavardage. Les dispositifs d’alerte et de mise en réseau sur internet (web 2.0) vont dans le sens de l’obsolescence de cette distinction.

En outre, la communication humaine, elle-même, n’est pas vraiment synchrone puisqu’en principe chaque interlocuteur attend, en principe, que l’autre ait fini de parler pour réagir, sinon c’est la cacophonie et un dialogue de sourds.

En bref, compte tenu des progrès techniques, nous nous habituons à des échanges médiatisés plus interactifs. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes : chacun s’attend à des réactions rapides à ses messages, même si ceux-ci sont produits dans sa propre « logique temporelle » qui ne correspond pas nécessairement à celles de ses correspondants. C’est sans doute en ce sens qu’il faut d’abord comprendre certaines attentes des étudiants à distance à l’égard de leurs tuteurs.

J.R. :
Cette évolution est-elle souhaitable pédagogiquement ?


J.L. : J’ai montré, il y a bien longtemps (dans ma thèse de doctorat), que les « sciences de l’éducation » ont eu davantage tendance à adopter des technologies venues d’ailleurs plutôt que d’en développer elles-mêmes. On constate qu’avec l’avènement des TICs cette tendance s’est confirmée. Comme dans d’autres domaines, le perfectionnement rapide de ces outils de communications rendra la communication médiatisée plus transparente et conviviale, semblable à une interaction humaine en présence, c’est-à-dire naturelle. En éducation, n’ayant plus à se préoccuper des limites et problèmes techniques, on devra de nouveau se pencher sur les aspects pédagogiques de l’enseignement-apprentissage : objectifs d’apprentissage, compétences visées, modalités d’intellection et de compréhension, encadrement humain, évaluation.

J.R. : Quels seraient selon toi les principaux critères pour associer de manière heureuse et pertinente ces différentes approches ?

J.L. : C’est en fonction de dispositions pédagogiques déterminées sous ces différents aspects et des activités qui en découlent que l’on aura à choisir les outils les plus adéquats. On ne choisit pas un outil a priori avant de savoir ce qu’on se propose de faire. Malheureusement ça a été trop souvent le cas en éducation durant les cinquante dernières années, depuis qu’on y a introduit diverses technologies : audio-visuel, informatique, internet …

J.R. :
Tu décris la plupart des modalités de communication asynchrones et synchrones qui sont utilisées en formation à distance. Pourtant, tu n'abordes pas les réseaux sociaux. Est-ce parce que tu considères ceux-ci comme étant de simples espaces d'intégration des modalités de communication ?


J.L. : Comme je l’ai évoqué plus haut le web 2.0 minimise les temps de latence entre les échanges « asynchrones ». Chacun peut diffuser rapidement à son réseau d’amis ou d’abonnés, les messages qui lui semblent importants. Chaque membre d’un réseau particulier ayant lui aussi son propre réseau interconnecté avec celui des autres, il s’ensuit une cacophonie, ou plutôt un patchwork de morceaux de discours où chacun tente d’imposer ses thèmes, ses agendas et ses points de vue pour s’emparer de « l’actualité ».

Cette modalité de discours éclaté, fait d’informations disparates juxtaposées dans des files de nouvelles, achève le processus de banalisation de tous les sujets et d’aplatissement de l’échelle des valeurs, amorcé par les médias de masse depuis plus d’un demi-siècle. Dans les années 60 bien des analystes des médias dénonçaient à l’époque la juxtaposition spatiale (dans les journaux et magazines) ou temporelle (dans les médias électroniques) de sujets futiles comme les déboires sentimentaux d’une starlette et la prise du pouvoir par une junte militaire dans un pays du tiers monde, ou encore, la découverte d’une nouvelle nébuleuse par un astrophysicien. À l’heure où chacun peut diffuser ses propres états d’âme sur tout et n’importe quoi, dans des messages de plus en plus brefs (Twitter, sms, etc.), seuls les événements inattendus et qui frappent l’imagination ou l’affectivité, émergent.

En outre, l’accent mis par le web 2.0 sur la rapidité de diffusion démultipliée impose la dictature de « l’actualité » et marginalise les processus de mise en perspective, d’analyse des processus évolutifs, de réflexions diachroniques. Quelques journalistes des grands médias de la francophonie, qui se sont soumis récemment à une expérience d’isolement pendant une semaine dans une retraite où ils n’avaient accès qu’aux « files d’événements » des principaux réseaux (Twitter, Facebook, etc.), on constaté qu’ils s’étaient sentis soumis à l’emphase étriquée de quelques événements sans perspective l’évolution de la planète. Ceci a, selon moi, de graves conséquences sociologiques qui se traduisent, entre autres dans les sociétés techniquement développées, par des populations plus versatiles aux valeurs et aux choix plus affectifs qui soutiennent des gouvernements souvent éphémères et à courte vue.

Mais ces réflexions viennent peut-être du fait que je ne suis pas de nature extravertie et que je ne vois pas l’intérêt de déverser vers mes amis ou collègues mes états d’âme, mes révoltes spontanées, ou même, mes pensées embryonnaires. Je préfère que ces dernières soient plus élaborées pour les diffusées; mais alors elles ne sont plus d’actualité !

En outre, je reste très marqué par cette pensée de Marshall McLuhan, dans les années 60 : « Le médium c’est le message ». En bref, ce n’est pas tant le contenu véhiculé par un média qui importe socialement que les comportements de communication qu’il génère. 140 caractères sur Twitter ou par sms, même si on peut y inclure des liens, c’est peu pour amorcer une réflexion. On développe alors une communication par « coups de cœur ».

J.R. : Considères-tu que les usages pédagogiques des réseaux sociaux ne sont pas encore suffisamment établis ?

J.L. : Il va de soi que les réseaux sociaux sont tout à fait adaptés aux communautés de pratique, aux groupes d’intérêts et aux mouvements sociaux pour le partage rapide d’informations et pour une mobilisation des membres. Ils peuvent être utiles aussi pour créer des dynamiques de classes virtuelles, si utiles pour contrer l’isolement des étudiants à distance et générer l’émulation au sein du groupe.

Mais, comme je l’ai déjà mentionné, l’outil ne doit pas être choisi a priori. Lors de l’élaboration de tout programme de formation on doit d’abord déterminer les objectifs d’apprentissages puis les stratégies pour les atteindre ; ce n’est qu’alors qu’on peut produire des activités adaptées et déterminer les outils propices à les réaliser.

J.R. :
Tu as consacré la deuxième partie de ce mémoire aux étudiants à distance. Tu montres toute la variété des différents publics de la formation à distance et le souhait pour chaque étudiant d'obtenir l'encadrement dont il a besoin au moment où il en a besoin. Il apparaît essentiel de bien connaître les profils d'étudiants pour leur offrir des services tutoraux adaptés. A cet égard, tu fais référence à diverses recherches dont les résultats sont comparables et que je résume ainsi : un étudiant souhaite pouvoir obtenir des réponses à ses questions, accéder rapidement à son tuteur et à ses réponses, obtenir des précisions tant sur le contenu que sur les consignes des activités, bénéficier de rétroactions sur ses travaux.
Si ces indications sont précieuses, se révèlent-elles suffisantes, à ton avis, pour penser un système tutoral ?

J.L. : Plusieurs des études dont j’ai pris connaissance se placent du point de vue du tuteur, constatent les difficultés qu’il rencontre dans l’exercice de ses fonctions et se terminent bien souvent par des prescriptions, non pas pour le tuteur, mais pour l’étudiant à distance. Pour quelqu’un comme moi qui a œuvré durant une période de sa carrière en communication-marketing, il y a dans cette attitude quelque chose d’à la fois paradoxal et comique, et au final de contre-productif. Dans la communication d’échanges de biens et de services, qu’on appelle commerciale, le demandeur est prioritaire. Si le contexte de l’offre ou son représentant, agent ou vendeur, impose des contraintes de disponibilité, par exemple, le demandeur (client) risque d’aller voir ailleurs ou tout simplement de ne pas persister dans son intention d’acquérir le service ou le bien souhaité. Je pense que, dans le contexte éducatif concurrentiel actuel en raison du développement de la formation à distance, il importe aux institutions qui offrent ces formations de développer un esprit de service à l’étudiant. C’est la raison pour laquelle, dans le second chapitre du rapport sur l’encadrement qui porte sur les étudiants en ligne, j’ai privilégié les études qui se sont intéressées aux attentes des étudiants, et non à celles des tuteurs. En bref, dans l’immédiat, les attentes mentionnées dans le libellé d’introduction à la question devraient être prises en compte prioritairement par les tuteurs.

J.R. : De quelles autres informations sur les futurs apprenants d'une formation à distance, le concepteur aurait-il besoin pour déterminer des services d'encadrement adaptés ?

J.L. : Comme je crois l’avoir mentionné dans le rapport, le problème central de tout tuteur, comme de tout enseignant, est de « comprendre pourquoi l’étudiant ne comprend pas ». Comment interpréter le faisceau de questions qu’un étudiant pose pour bien comprendre la problématique sous-jacente qui ralentit son processus d’apprentissage ? C’est cette question fondamentale qui doit être préalable aux préoccupations d’ordre logistique, pour l’élaboration d’un système tutoral.

J.R. :
Comment le concepteur pourrait-il recueillir ces informations ?


J.L. : Des études plus approfondies, c’est-à-dire plus analytiques selon une approche psycho-sociale, devraient être menées, afin d’optimiser les contextes d’apprentissage selon les niveaux et surtout selon divers profils, à défaut de produire des programmes de formation individualisés.

J.R. : Dans la troisième partie, tu présentes les définitions de différents chercheurs sur le concept d'encadrement. Celles-ci sont assez contrastées et se déclinent sur un continuum allant de la désignation d'activités précises par certains auteurs à des définitions plus globalisantes par d'autres. Comme tu le sais, je privilégie l'expression « système tutoral » à celle d'encadrement. Par là, je veux souligner que les différentes ressources et personnes-ressources auxquelles les apprenants ont accès doivent constituer un tout cohérent et coordonné. Quelle est ta conception de l'encadrement ?

J.L. : Je pense qu’en filigrane du rapport, on peut percevoir que ma conception de « l’encadrement » est proche de ce que tu désignes par « système tutoral ». En ce sens, je pense qu’il s’agit d’un débat sémantique, mais que le référent est le même. Toutefois, pour le plaisir de la discussion, je dirais que si le terme « système » implique davantage une idée de complexité et d’ouverture que le terme « d’encadrement », en revanche, celui de « tuteur » sous-entend une certaine directivité, sans doute souhaitable aux niveaux primaire et secondaire, mais en contradiction avec l’objectif d’autonomisation des étudiants à distance des niveaux supérieurs. Quant à moi, je proposerais l’expression « dispositifs d’accompagnement » qui inclut à la fois les divers intervenants dans le processus de formation, les dispositions administratives et les ressources.

J.R. : De la même manière, il existe différents termes pour désigner les personnes qui aident d'autres personnes en situation d'apprentissage. Tu constates que tuteur, mentor, coach sont celles qui reviennent le plus souvent dans la littérature. Pour ma part, je les distingue ainsi : « Le tuteur intervient auprès d'un apprenant dans un dispositif de formation alors que le mentor accompagne un individu dans toutes les dimensions de sa vie. Par ailleurs, le coach intervient auprès d'un professionnel pour l'aider à améliorer ses compétences professionnelles. Le maître d'apprentissage d'un étudiant en alternance, appelé également tuteur d'entreprise, emprunte tant au coach qu'au tuteur. » Selon toi, pourquoi existe-t-il une aussi grande variété sémantique ?

J.L. : Comme tu l’énonces, les termes utilisés réfèrent à des types d’interventions différents auprès des apprenants : le mentor accompagne le développement personnel, le coach aide à l’amélioration des performances, le tuteur intervient dans un processus de formation particulier. À la page 30 du rapport sur l’encadrement, je propose un continuum de types d’interventions, incluant deux autres types d’intervenants, les instructeurs et les enseignants, selon qu’on met l’accent sur la dispensation du savoir (enseignant) ou le développement de la personne (mentor).

Dans mon rapport j’ai tenté de situer « l’encadrement » dans une vision assez large pour inclure aussi bien les interventions relatives aux apprentissages que celles relatives au développement personnel. C’est la raison pour laquelle réduire « l’encadrement » -dans son sens large de « dispositifs d’accompagnement »- au tutorat me semble réducteur.

J.R. :
Cette pluralité de termes tient-elle à la variété des contextes ou bien à l'existence de difficultés particulières pour bien cerner et reconnaître, y compris statutairement, les fonctions des tuteurs ?


J.L. : Cela ne tient pas à la variété des contextes mais à la variété des objectifs d’intervention dans le domaine de l’éducation et de la vie en général. Quant aux attributions professionnelles des tuteurs, elles doivent être discutées. On constate que dans plusieurs institutions de formation à distance, les « tuteurs » ne sont pas associés à l’élaboration des programmes et des cours qu’ils auront à encadrer et dans bien des cas, ils ne sont même pas spécialistes de la matière enseignée. Pourtant, l’essentiel des attentes des étudiants a trait aux contenus de cours, à leur explicitation. Par ailleurs, on constate que, malgré plusieurs années d’expérience de formation à distance, peu d’enseignants sont prêts à s’engager dans cette voie pour la raison, entre autres, que l’encadrement des étudiants à distance prend beaucoup plus de temps qu’avec des groupes en classe. Il me semble qu’une réflexion en profondeur sur le processus « d’enseignement-apprentissage », indépendante des intérêts corporatistes des divers intervenants, est nécessaire. Avec l’ampleur croissante des connaissances savantes et vulgarisées mises en ligne, le rôle de l’enseignant se déplace de la fonction de « transmission » à la fonction « d’aide à l’intégration » par l’étudiant des contenus afférents à ses activités d’apprentissage. En d’autres termes, les rôles d’enseignant et de tuteur d’apprentissage tendent à se fusionner. C’est dans cette optique que l’on devrait aborder une réflexion sur le statut des tuteurs.

J.R. : Tu identifies différentes formes d'encadrement de « la plus plus objective à la plus empathique » : l'information, l'évaluation, le soutien, l'animation, l'accompagnement. Tu soulignes aussi que la variété des fonctions, des pratiques et des compétences interdisent de confier l'encadrement à une seule et même personne, que nous appelons tous les deux le « tuteur-orchestre » (cf. mon texte Inconvénients de la figure du « tuteur-orchestre » Tutorales n°5). Tu proposes donc de distinguer les rôles des éducateurs, des formateurs, des tuteurs et des intervenants dits « non-enseignants ». La variété des fonctions impliquerait donc des dénominations distinctes. Celles-ci se révèlent d'ailleurs utiles dans la perspective de la conception d'un système tutoral. Pour autant, ce qui fait trait d'union entre-elles est bien le fait que les acteurs désignés investissent certaines fonctions tutorales. A titre d'exemple, pour le système tutoral du Master MFEG de l'université de Rennes 1, nous avons bien établi les différents périmètres des fonctions tutorales des acteurs mais avons volontairement retenu le terme de tuteur auquel est adjoint d'autres termes précisant leur rôles : tuteur-programme ; tuteur-administratif ; tuteur-technique ; tuteur-cours ; tuteur-projet et tuteur-pair. Selon toi, est-il problématique de désigner les acteurs comme étant des tuteurs ?

J.L. : Comme je l’ai indiqué précédemment), personnellement je préfère le concept « d’accompagnement » à ceux « d’encadrement » ou de « tutorat ». Cet accompagnement se décline selon les divers domaines d’interventions : pédagogique, administratif, technique, et aussi psychologique. Je pense que le terme de « tuteur » est accompagné de connotations historiques qui, chez l’apprenant et chez le dit « tuteur », induisent le sentiment de dépendance du premier par rapport au second et suscitent peut-être un interventionnisme excessif du second auprès du premier. Bien sûr, cette conception s’applique surtout pour une clientèle d’apprenants adultes. L’encadrement et/ou le tutorat, aux sens communs des termes, restent sans doute pertinents au niveaux de formation primaire et secondaire.

J.R. : S'agirait-il d'un problème relatif au fait que les fonctions tutorales de ces personnes sont secondes par rapport à leurs autres fonctions ?

J.L. : À quelles fonctions fait-on allusion dans cette question ? S’il s’agit des diverses formes d’accompagnement que les enseignants, les techniciens, les agents d’administration, etc., sont amenés à assumer dans l’exercice de leurs fonctions, il est possible que plusieurs d’entre elles réalisent des interventions « tutorales » sans le savoir. Il serait sans doute important, en regard de la culture organisationnelle, que toutes ces personnes qui ont un contact direct avec les étudiants soient sensibilisées au principe de « service à la clientèle » étudiante.

J.R. : D'un problème plus symbolique relié au prestige de certaines dénominations par rapport à celle de tuteur ?

J.L. : Il y aurait sans doute, là aussi, à faire une enquête de perception de la fonction de « tuteur » auprès de ces différents intervenants pour savoir comment la rectifier, au besoin.

J.R. : D'un problème statutaire ?

J.L. : Je ne doute pas que certaines corporations, découvrant une nouvelle fonction à leur profession, ne cherchent à la faire valoir pour un changement de statut et de rémunération !

J.R. : Dans le chapitre 4, tu abordes de manière concrète l'encadrement. Tu identifies notamment trois phases de son déroulement : l'amont de la formation que tu nommes « Le temps de l'avant », le cœur de la formation intitulé « Le temps de l'action », l'aval de la formation désigné comme « Le temps du suivi ». Pour chacune de ces phases, tu précises différentes étapes et actions à mener pour encadrer les apprenants. J'ai relevé que les éléments préconisés pour « Le temps de l'avant » étaient nombreux, variés et principalement centrés sur l'information, la clarification du projet de l'apprenant, le choix des parcours. Tu relèves aussi pertinemment que l'encadrement peut être envisager de deux points de vue que j'estime en tension, celui du prestataire de formation et celui du futur apprenant. Si je te rejoins sur le fait qu'une démarche cohérente et pédagogiquement responsable devrait viser la satisfaction des besoins du futur apprenant, celle-ci est davantage constatée auprès d'institutions qui ne sont pas entièrement soumises aux contraintes économiques ou de manière moins lourde que celles qui interviennent sur un marché très concurrentiel. Cela m'amène à te demander s'il peut exister un retour sur investissement pour l'institution qui soit lié à la mise en place du « Temps de l'avant » ?

J.L. : Dans le contexte économique actuel, je ne suis pas sûr qu’il y ait encore des secteurs, tels que l’éducation ou la formation, qui échappent aux contraintes économiques. En milieu scolaire, de plus en plus, des mesures d’indices de performances sont mis en place. Aux niveaux supérieurs, ces mesures sont plus diffuses mais tout aussi réelles. En Amérique du nord, les universités sont des corporations privées; elles se disputent des clientèles étudiantes qui ont développé dans d’autres domaines des comportements de consommateurs avertis et qui, de ce fait, sont plus prudentes dans leur choix de formation. En outre, depuis quelques années, plusieurs médias se sont spécialisés dans la présentation des performances comparatives des institutions éducatives, selon divers critères.

En conséquence, les institutions éducatives même publiques découvrent les notions de « marché » et de « concurrence ». Leurs revenus, subsides et frais de scolarité, dépendent de l’attrait qu’elles exercent auprès des clientèles potentielles. Elles n’ont donc plus le choix de se faire valoir par le prestige des diplômes et par les services et le soutien (accompagnement) qu’elles offrent. Tout comme les grandes entreprises modernes, elles devront porter attention à leur culture organisationnelle et à leur orientation client. Aux États-Unis, par exemple, les grandes institutions universitaires, grâce à leur prestige lié à leurs services et à la valeur de leurs diplômes, fonctionnent exclusivement sur leurs frais de scolarité et les subsides de leurs riches donateurs, souvent anciens étudiants. Pour ce faire, elles font la promotion de leurs ressources : professeurs-vedettes, laboratoires et équipements de pointe, dispositions pédagogiques, etc. Quant aux institutions publiques, c’est le nombre d’inscrits qui détermine les subsides de l’état.

En bref, les institutions n’échappent pas à la logique économique du « marché ». Pour optimiser le retour sur investissement, il faut, comme dans d’autres domaines, arrimer les changements organisationnels aux attentes de la clientèle.

J.R. : Tu déclines « Le temps de l'action » en cinq phases. Celles-ci me semblent bien adaptées pour un parcours dans lequel sont prévues des activités de collaboration. En ce sens, elles alternent les modalités de rencontres, de travail en autonomie, en collaboration et un temps d'évaluation de la production des apprenants. Si la collaboration est une modalité qui se répand, ne présente-t-elle pas, selon toi, une certaine restriction à l'accessibilité des formations ?

J.L. : Tout comme les outils technologiques, les stratégies pédagogiques ne doivent pas être considérées a priori, c’est-à-dire avant d’avoir déterminé les objectifs pédagogiques et le ou les profils des étudiants auxquels une formation s’adresse. L’apprentissage collaboratif est une stratégie pédagogique parmi d’autres, qui est adaptée ou non à certains objectifs pédagogiques. En revanche, lorsqu’on juge qu’elle est pertinente, les outils technologiques de plus en plus transparents et conviviaux, incluant les réseaux sociaux, permettent la collaboration en ligne. Je ne vois pas donc d’obstacle majeur.

J.R. : La planification d'activités collaboratives, souvent en synchrone, ont pour effet de rigidifier le déroulement de l'action de formation, du moins à ne pas permettre pleinement la prise en compte des différences de rythme d'apprentissage des apprenants. Par ailleurs, elles présentent des avantages pour la satisfaction des besoins des apprenants sur les plans motivationnel et socio-affectif. Il apparaît donc que l'insertion d'activités collaboratives dans un parcours doit faire l'objet d'une analyse de la part des concepteurs entre les avantages et les inconvénients qu'elles présentent. Comment, à ton avis, peut-on procéder à cette analyse ?

J.L. : Il va de soi que les activités collaboratives ne conviennent pas à des formations individualisées basées sur le respect du rythme d’apprentissage de chaque apprenant.

Outre les avantages sur les plans motivationnel et socio-affectif, les activités en groupe, en classe ou à distance, présentent certains avantages pédagogiques. Par exemple, le processus dialectique mis en œuvre permet, notamment pour l’analyse des cas et la résolution de problèmes, la confrontation d’arguments. Ceux-ci se raffinent au fil des interactions et l’apprentissage des participants s’en trouve sans doute bonifié.

Quant à l’insertion des activités collaboratives dans le parcours de formation, il importe de les encadrer dans le temps. Comme dans tout processus de recherche, il doit y avoir une première période de découverte et de définition commune de la problématique de l’activité proposée, puis une période de recherche et d’exploration de la documentation, puis une période de discussion argumentaire, et enfin une période de construction d’un consensus. L’expérience des concepteurs devrait leur permettre d’établir des balises temporelles pour chacune de ces étapes et celle des tuteurs devrait leur permettre d’intervenir de manière à ce que les apprentissages se fassent dans les durées imparties.

En dehors des activités d’étude de cas et de résolution de problèmes, l’apprentissage collaboratif n’est peut-être pas la meilleure stratégie d’enseignement-apprentissage. Mis à part les témoignages emphatiques de praticiens convaincus, à ma connaissance, aucune étude méthodologiquement acceptable n’a fait la preuve de la supériorité pédagogique de l’apprentissage collaboratif par rapport aux autres modalités d’apprentissage. Par exemple, le processus de découverte et de structuration d’un corpus de connaissances par le croisement de multiples recherches intuitives réalisé par un groupe d’apprenants me semble plus lent, aléatoire et onéreux en énergie qu’une présentation initiale du champ de connaissances et de son réseau conceptuel, suivie d’une exploration individuelle par l’étudiant et d’une éventuelle mise en commun.

En outre, les observations, sur plusieurs années, du fonctionnement des communautés de pratique montrent que, dans de tels groupes, il y a quelques individus actifs qui génèrent l’information et un nombre plus grand de passifs qui la consomment. On retrouve ce clivage dans le fonctionnement des groupes d’apprentissage en classe ou en ligne. Lors de ma longue expérience d’enseignement en classe et à distance j’ai constaté les réticences des étudiants les plus motivés à fonctionner en groupe, sachant qu’ils en seraient les locomotives.

J.R. :
A partir de quelles données réaliser cette analyse ?


J.L. : Les activités collaboratives doivent d’abord correspondre à une nécessité d’apprentissage, pour le développement des aptitudes à travailler en équipe pour la résolution de problèmes et la prise de décisions collectives : en gestion, en ingénierie ou en médecine par exemple. L’apport attendu de chacun des participants et les délais de réalisation doivent y être précisés au départ. Ces activités doivent se situer en aval d’une exploration magistrale ou individuelle du domaine d’application, pour éviter la superficialité des analyses collectives et les errements en regard des solutions recherchées. En aval de ces activités, une analyse et un feedback précis d’experts du domaine (profs) sur les solutions proposées doivent être communiqués rapidement aux étudiants.

Une bonne structuration des activités collaboratives devrait permettre leur intégration harmonieuse au sein d’un programme de formation diversifié.

J.R. : Tu caractérises « Le temps de suivi » comme étant celui de l'évaluation. Tu marques une préférence, que je trouve heureuse, pour l'évaluation formative se traduisant en autres par la production de rétroactions. J'ai souvent constaté que les institutions éducatives n'avaient qu'une conscience relative de la nécessité des rétroactions, quand ce n'est pas de l'évaluation formative. « Le Temps de suivi », comme « Le temps de l'avant » se révèlent être pour certaines institutions un trou noir. Quelles seraient, selon toi, les actions à mener pour changer cela ?

J.L. : Je me risquerais à dire qu’on ne peut bien évaluer que si on sait clairement ce qu’on attend de l’étudiant; en bref, si on a bien défini les objectifs spécifiques lors de l’élaboration de la formation. Au-delà du débat, à la mode, entre les objectifs de « connaissance » et ceux de « compétence », il convient de préciser au départ les processus cognitifs (savoirs), manipulatoires (savoir-faire) ou comportementaux (savoir être) que l’étudiant doit maîtriser à la fin de son apprentissage et les indices tangibles qui en témoigneront. L’évaluation portant sur la présence ou non de ces indices et leur performance de réalisation, sera alors plus aisée. En bref, la « culture du suivi » commence par la « culture de la planification ».

J.R. :
Existe-t-il, ici aussi, des éléments qui permettraient de mesurer le retour sur investissement des actions d'encadrement du « Temps de suivi » ?


J.L. : Il est certain que, bien souvent, les étudiants se plaignent du peu de feedback qu’ils reçoivent de leurs divers travaux et productions. Une observation empirique montre que ces mêmes étudiants déclarent ne pas toujours bien comprendre ce qu’on attend d’eux. Ces perceptions, justifiées ou non, contribuent au maintien de la motivation et plus globalement au désir, ou non, de persévérer dans le programme, voire dans l’institution.

En bref, le temps du suivi fait aussi partie du « service à la clientèle », variable importante pour le « niveau d’attrait » d’une institution, lui-même paramètre du calcul du retour sur investissement.

J.R. : Dans le cinquième chapitre, tu abordes l'encadrement pédagogique et après avoir brossé un rapide panorama de l'apparition de la figure du tuteur et de son évolution, tu avances l'idée, partagée par différents auteurs, qu'il y a nécessité de concevoir, de planifier et de coordonner les actions des différents types de tuteurs. Je repère ici un souci comparable au mien qui a aiguillonné ma réflexion et mes propositions en faveur d'une réelle ingénierie tutorale. Aussi, j'aimerais savoir, à quel moment, à ton avis, le scénario d'encadrement doit-il être conçu ?

J.L. : La question ainsi posée en regard de la notion de « scénario » recentre implicitement l’encadrement sur le processus d’apprentissage comme tel, dans le cadre d’un cours ou d’un programme. Un scénario, définissant une séquence d’activités planifiées, ne peut s’intégrer que dans un processus déterminé. En ce sens la notion de scénario exclut les dispositifs d’accompagnement du temps de l’avant et en partie ceux du temps du suivi ainsi que les services parallèles d’accompagnement individuel (santé physique et soutien psychologique. En bref, un scénario d’encadrement est nécessairement lié aux aspects pédagogiques planifiés. Comme pour le choix des activités pédagogiques, le scénario d’encadrement découle des objectifs spécifiques posés préalablement. Si les activités sont majoritairement collaboratives le scénario d’encadrement sera prioritairement axé sur l’animation et la régulation du groupe d’apprenants. En revanche, si les activités proposées jalonnent un apprentissage individualisé, le scénario d’encadrement sera prioritairement axé sur le maintien de la motivation et le soutien psychologique.

J.R. :
Est-ce que le scénario d'encadrement doit toujours être conçu après le scénario pédagogique et donc venir en réponse à celui-ci ?


J.L. : Si on parle toujours de scénario d’encadrement, je viens de répondre à cette question. Toutefois, si on considère l’encadrement dans le sens large « d’accompagnement » de l’étudiant, comme je l’ai expliqué plus haut, la partie extra-pédagogique des dispositifs d’encadrement peut être élaborée avant le scénario pédagogique comme tel.

J.R. :
Ou bien, peut-il être pensé de manière concomitante et donc influer sur le scénario pédagogique ?


J.L. : Ce n’est pas le « scénario d’encadrement » qui peut être concomitant, mais la « fonction conseil » en encadrement. Si, lors de l’élaboration d’un programme de formation, on dispose de personnes expertes en diverses techniques d’encadrement des groupes ou des personnes, il va de soi que leur expertise guidera l’élaboration du scénario pédagogique en prévoyant les difficultés d’apprentissage auxquelles elles devront éventuellement remédier selon les stratégies et les activités pédagogiques choisies.

J.R. : Autrement dit, si l'on considère l'encadrement comme un support à l'apprentissage et les ressources comme l'incarnation du discours de l'enseignant, la place du tutorat et son poids dans le processus de conception ne qualifie-t-il pas déjà l'approche pédagogique choisie ?

J.L. : C’est justement ce morcellement de l’enseignement-apprentissage entre expert-concepteur et tuteur qui pose problème. Lorsque le prof est le seul intervenant dans son cours, s’il a le moindrement d’expérience, il est capable de faire les ajustements pertinents entre les exigences du contenu et les besoins des apprenants. Or, la dichotomie, prof-expert d’une part et tuteur d’autre part, que l’industrialisation implicite de la formation a provoquée, a aussi généré un conflit de statuts.

Dire que le poids du tutorat dans le processus de conception d’un programme de formation « qualifie » l’approche pédagogique choisie, me semble inexact. Tout comme pour la question précédente, ce n’est pas le poids du tutorat dans le scénario d’apprentissage qui est en cause ici, mais le rôle conseil que l’on accorde aux personnes expertes en tutorat lors de l’élaboration de ce scénario d’apprentissage. Les experts en tutorat peuvent se sentir « frustrées » que leurs remarques et suggestions ne soient pas prises en compte. La négligence de la fonction conseil tutorale peut entraîner la mise en opération d’une formation inadaptée à une clientèle donnée.

Quant à ta proposition d’une « ingénierie tutorale » elle semble déborder la fonction tutorale recouvrant plusieurs fonctions d’encadrement énoncées par divers auteurs. Il semble que tu souhaites substituer le processus « d’ingénierie tutorale » à celui « d’ingénierie pédagogique »; ceci revient à prioriser l’encadrement sur l’enseignement-apprentissage. Dans l’évolution actuelle des modalités d’enseignement-apprentissage, on constate que la production des contenus d’apprentissage est confiée de plus en plus à des équipes d’experts, parfois dissociées des institutions dispensatrices. Ces dernières utilisent alors ces ressources pour la formation des étudiants en ayant recours à des tuteurs pour le « service pédagogique » à la clientèle. Ainsi, dans les institutions éducatives « de masse » les tuteurs sont appelés à remplacer les profs traditionnels, à la fois transmetteurs de connaissances et pédagogues. Cette mise de l’avant de la fonction tutorale dans ta proposition « d’ingénierie tutorale » est sans doute prémonitoire. À court terme, ce changement terminologique aura sans doute pour effet de revaloriser la fonction tutorale.

J.R. :
Tu relies avec pertinence la collaboration aux apports de Vygotski qui a avancé les notions de « zone de développement proximal », « d'étayage » et de « des-étayage » et qui plus fondamentalement, dans une certaine parenté avec Joseph Jacotot évoqué par Jacques Rancière dans « Le maître ignorant » propose un socio-constructivisme qui selon ton expression « renforce l'esprit démocratique ». Dans cette perspective, le rôle du tuteur est plus celui d'un animateur, d'un modérateur, d'un garant pour le groupe d'apprenants, qui doit pratiquer l'écoute active et la maïeutique socratique. A ton avis, le travail collectif d'un groupe d'apprenants ne peut-il pas prendre d'autres formes que celle de la collaboration ?


J.L. : Dans une question précédente, j’ai émis des réserves sur les avantages a priori de l’apprentissage collaboratif basé sur la théorie du socioconstructivisme. S’il est certain que dans le domaine scientifique ou dans le domaine professionnel les développements se font par la collaboration entre experts ou professionnels pour résoudre des problèmes contingents, il est moins évident que les apprentissages faits en collaboration dans un groupe, soient plus assurés et rapides que par des méthodes plus traditionnelles telles que l’enseignement magistral ou l’apprentissage expérimental individuel.

J.R. : Des formes où le tuteur jouerait plus le rôle d'un guide voire d'un chef de projet ?

J.L. : Dans cette forme d’activité collective, ne retrouve-t-on pas le modèle de l’instituteur ou de l’enseignant qui sait dynamiser sa classe ?

J.R. : Le raccourci qui fait estimer que toute activité collective est par essence collaborative, n'amène-t-il pas à un cul de sac ?

J.L. : Par définition l’apprentissage en classe est une activité collective. le plus souvent, il n’est pas collaboratif.

J.R. : Dans ton sixième chapitre, tu formules des apports qui me semblent essentiels pour les tuteurs. En particulier, tu précises la notion de feedback et celle d'écoute. Sur cette dernière, tu signales que c'est « l'écoute compréhensive » que le tuteur devrait adopter. Tu l'oppose à celles qui sont « hostile », « condescendante », « partielle », « anxieuse » ou « simulée ». J'ai trouvé là aussi des échos à la réflexion qui m'a amené à distinguer fortement le conseil et la consigne. Tu indiques aussi que le tuteur doit « neutraliser son rôle d'autorité afin de faciliter l'établissement d'un lien de confiance avec les apprenants. » Si je suis en plein accord avec tes propos, je me pose des questions sur les moyens donnés aux tuteurs pour s'investir dans ces démarches. Les institutions sont-elles prêtes à reconnaître ces dimensions de l'activité tutorale ?

J.L. : Les comportements d’écoute et de feedback sont des savoir-être qui, en principe, vont de pair avec la qualité de pédagogue, enseignant ou tuteur. Je ne vois pas en quoi les institutions ont à intervenir.

J.R. :
Comment peuvent-elles quantifier les temps tutoraux qui sont nécessaires à ces comportements ?


J.L. : Tout conseiller-expert en communication sait que si les comportements d’écoute et de feedback engendrent des interactions plus longues, il sait aussi qu’ils en réduisent le nombre et, de ce fait, sont plus productifs. Plus simplement, en regard du temps consacré à un étudiant, il est plus avantageux de prendre le temps nécessaire pour bien comprendre son problème et lui répondre adéquatement, que de lui donner des réponses standardisées et lapidaires qui n’y répondent pas car on n’a pas identifié le vrai problème. Il reviendra alors à plusieurs reprises, ce qui en temps cumulé est plus onéreux. En outre, l’écoute est essentielle à la résolution du problème central du tuteur, évoqué plus haut : comprendre ce que l’étudiant ne comprend pas.

J.R. : Les tuteurs peuvent-ils avoir facilement accès à des formations les préparant à ces attitudes ?

J.L. : Il me semble qu’en sciences de l’éducation il y a des cours ou des séquences de formation qui préparent au développement de ces savoir-être.

J.R. : En l'absence de réponses à ces questions, ne charge-t-on pas un peu plus la barque du tuteur ?

J.L. : Il me semble, au contraire, que si les tuteurs acquièrent et développent ces habiletés leur barque s’en trouvera bien allégée.

J.R. : Finalement, quels sont les moyens à mettre en œuvre pour concrétiser l'idéal affiché ?

J.L. : Prendre des cours en communication interpersonnelle. Dans ce cas seule la modalité « en classe » est efficace !

J.R. : Dans ton septième et dernier chapitre, tu abordes la question de l'encadrement institutionnel. Celui-ci apparaît important et de nature à traduire l'investissement de l'institution dans une réelle démarche d'encadrement. De nombreux services sont amenés à apporter des informations et des services aux apprenants. Pourtant, tu constates un certain déficit de « culture organisationnelle » en lien avec l'encadrement. A certains égard, ne penses-tu pas que l'on puisse établir un parallèle avec la démarche qualité ?

J.L. : Oui ! Tout à fait ! Mais la démarche qualité devrait s’appliquer d’abord aux formations offertes, aux designs pédagogiques impliquant la qualité de produits (diplômés) que l’on souhaite obtenir au bout de la chaîne. Quelle révolution chez les pédagogues, tous enseignants et tuteurs confondus !

J.R. :
Imaginons une organisation qui souhaite améliorer la qualité de son accueil. Ce n'est pas uniquement le personnel d'accueil qui sera impacté par les changements envisagés mais aussi les autres intervenants. Par exemple, le fournisseur de fleurs qui veillera à ce que les bouquets soient toujours frais, le responsable de la machine à café pour que celle-ci soit toujours alimentée, les personnes qui reçoivent les visiteurs qui veilleront à mettre leur téléphone sur messagerie le temps de l'entretien, etc. De même pour l'encadrement, ne serait-il pas nécessaire de sensibiliser chaque salarié d'une institution éducative, pour la part qui lui revient, à ce que l'on pourrait nommer le "réflexe tutoral" : être à l'écoute, manifester sa disponibilité, offrir son aide ?


J.L. : C’est la philosophie « service à la clientèle » qui doit être développée dans la culture organisationnelle des institutions éducatives. Compte tenu de la connotation « directive » associée au néologisme « tutoral », comme je le mentionnais en commençant, je ne pense pas que l’expression « réflexe tutoral » soit pertinente.

J.R. : Tu as relevé que les institutions sont de plus en plus sur un marché concurrentiel. Je pense que tu seras d'accord avec moi pour dire que la formation à distance constitue un vecteur de cette mise en concurrence dans la mesure où elle autorise à rejoindre des publics non accessibles selon les formules de formation traditionnelles. Dès lors, le discours promotionnel pèse de plus en plus lourd tant dans la communication que dans les budgets des institutions. Il me semble pour autant qu'il existe comme une sorte de point aveugle dans ces approches marketing et qui concerne précisément l'encadrement. Il y a trois ans, je m'étais amusé à recueillir les mentions commerciales relatives au tutorat sur plusieurs sites d'organismes de formation à distance. Le résultat était assez affligeant puisque à part la très grande disponibilité des tuteurs et leurs hautes compétences, bien peu d'autres arguments étaient développés. Pourtant, ne peut-on considérer qu'une institution qui présenterait son système tutoral répondrait par avance à certaines interrogations de ces éventuels clients ?

J.L. : Comme ancien expert en communication-marketing, je dirais qu’avant de promouvoir une institution par la qualité de son « système tutoral » il faudrait d’abord « faire connaître et comprendre l’expression « système tutoral », car actuellement je ne pense pas qu’elle soit « vendeur » ! Il est toujours préférable de réserver le jargon spécialisé aux agents internes à l’organisation et aux experts, et vulgariser les services offerts sous ce vocable pour répondre aux attentes que les étudiants expriment en termes simples et courants.

J.R. :
L'institution ne montrerait-elle pas ainsi son professionnalisme et la qualité globale de son offre ?


J.L. : J’ai déjà évoqué cet aspect au début de notre entretien. La qualité d’un service reçu sont plus « vendeurs » que la qualité du personnel de l’entreprise qui l’offre. En regard des institutions éducatives, c’est la valeur des diplômes et les conditions facilitantes pour les obtenir qui attirent l’attention des étudiants potentiels.

J.R. : Partant du fait qu'un apprenant satisfait constitue le préalable à sa fidélisation, et que le tutorat a justement pour objectif la réussite de l'apprenant, l'encadrement offert ne peut-il pas devenir un argument marketing ?

J.L. : Entre autres.

J.R. : Enfin, le tutorat doit-il continuer à être perçu seulement comme un coût et ne peut-il devenir un centre de profit pour l'institution ?


J.L. : Pour certains managers des organisations éducatives tout est perçu comme un coût ! Le tutorat n’est ciblé particulièrement. En revanche c’est au niveau des catégories professionnelles que l’image du tutorat peut être celle d’un luxe inutile. Il appartient donc aux tuteurs de faire valoir leur importance dans la grande dynamique éducative.

J.R. : Merci beaucoup Jean pour cet entretien et au plaisir de le poursuivre bientôt de vive voix.


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