samedi 8 mai 2010

Soutenir et évaluer, deux rôles en tension pour le tuteur à distance. Par Jacques Rodet


Notes que j'ai utilisées pour lancer le débat du colloque du REFAD sur le double rôle que jouent les intervenant(e)s (tuteurs, professeurs, enseignants, chargés d’encadrement, etc.) qui encadrent les étudiants et qui doivent, par ailleurs, évaluer leurs travaux notés et examens.

Notre table ronde va s'intéresser à explorer ce double rôle d'aide et d'évaluation des étudiants par différentes personnes ressources qui interviennent dans des dispositifs de formation à distance. Dans ceux-ci, les plus fréquemment confrontés à cette double posture sont les tuteurs. C'est donc peut-être autour d'eux que pourraient se focaliser nos échanges.

L'aide et l'évaluation sont-elles de nature différente ? Voilà une première question à laquelle les intervenants seront certainement amenés à se prononcer. Quelles sont leurs places respectives dans le processus d'apprentissage ? Faut-il privilégier l'une par rapport à l'autre ? Leurs places respectives dans une formation ne traduisent-elles pas les orientations ou les approches pédagogiques de celle-ci ? L'aide et l'évaluation sont-elles en contradiction ou servent-elles une même finalité ?

Sans épuiser par avance les arguments, nous pouvons constater que l'encadrement des étudiants, les interventions de support à l'apprentissage ont pour objectifs d'aider l'apprenant à atteindre ses objectifs de formation. Objectifs académiques, bien évidemment, mais aussi certainement ses objectifs personnels. Pour certains apprenants, pas pour tous, c'est bien la poursuite d'enjeux personnels qui fonde leur investissement, leur persévérance et leur réussite. De son côté l'évaluation, déterminée par les concepteurs du cours ne peut par définition ne s'intéresser qu'à la mesure de la réussite de l'apprenant dans l'atteinte des objectifs académiques.

C'est par l'exploration de cette dissymétrie, que la tension entre les rôles de soutien et d'évaluation peut éventuellement être abordée. Alors que la relation d'encadrement vise à prendre en compte l'ensemble des facteurs qui ont un impact sur le processus d'apprentissage de l'apprenant, le rôle de l'évaluation est de porter un jugement sur la quantité et la qualité des connaissances acquises ou construites par les apprenants au regard des objectifs du cours.

Dès lors, peuvent se poser les questions suivantes : faut-il que ce soit une même personne qui assume ces deux rôles de l'encadrement et de l'évaluation ? En procédant ainsi, l'institution ne met-elle pas cette personne dans une position légèrement schizophrénique ?

Une piste pour nos échanges pourrait être d'examiner quels sont les avantages et les inconvénients tant pour l'institution, que pour les tuteurs et les apprenants de ce double rôle assumé par une seule et même personne.

Pourquoi l'institution confie-t-elle la relation d'aide et d'évaluation à une seule et même personne ? Y trouve-t-elle des avantages organisationnels ? Financiers ? Pédagogiques ? Cette démarche ne comporte-elle pas aussi son lot d'inconvénients ? Par exemple, est-ce que l'objectivité ou plus simplement la validité de l'évaluation n'est pas remise en cause dès lors qu'une relation de confiance, et parfois un peu plus, s'est établit entre l'aidant devenant évaluateur et l'apprenant ?

Du côté du tuteur, se pose également un certain nombre de questions. Comment va-t-il concilier ses deux rôles ? Ne sera-t-il pas enclin à en privilégier l'un par rapport à l'autre ? Possède-t-il les compétences nécessaires pour accompagner et évaluer ? S'autorisera-t-il à évaluer celui qu'il a aidé ? Son rôle d'évaluateur final ne constitue-t-il pas un handicap pour initier et développer une relation de confiance avec l'apprenant ? Quelles seraient les bonnes pratiques qu'il devrait développer pour permettre à l'apprenant de repérer ces deux rôles et pour les accepter ?

En terme d'inconvénients pour le tuteur nous pouvons citer le fait que son aide peut parfois prendre la forme d'une évaluation, mais que celle-ci est alors formative. Il lui faut donc arriver à distinguer clairement les formes d'évaluation formative et d'évaluation sommative. Ceci est-il toujours aisé ? Comment peut-il signifier à l'apprenant qu'à un moment il a mis sa casquette de personne aidante puis celle d'évaluateur ?

Mais cette double fonction ne présente-t-elle pas aussi des avantages pour le tuteur ? N'est-ce pas son rôle d'évaluateur qui le légitime vis à vis de l'apprenant ? Ses interventions de soutien n'en font-elles pas la personne la mieux placée pour rendre pleinement justice aux apprenants ?

Enfin pour l'apprenant ce double rôle présente aussi son lot d'inconvénients et d'avantages. Pour mieux les percevoir, il suffit de se mettre quelques instants à la place de l'apprenant. Puis-je faire confiance à la personne qui va m'évaluer ? Est-ce que je peux compter sur mon tuteur pour qu'il fasse la part des choses entre ma demande d'assistance et la production de mes travaux ? Mes demandes d'aide, qui sont autant d'aveux de mes difficultés ne vont-elles pas me pénaliser au moment de l'évaluation ?

D'un autre côté, le fait de pouvoir entretenir une relation de confiance avec mon tuteur n'est-il pas de nature à ce qu'il me comprenne mieux ? A ce que je comprenne davantage ses attentes et celles de l'institution ? N'est-il pas la personne la plus à même pour me soutenir dans la préparation de l'évaluation ?


2 commentaires:

Jacques Rodet a dit…

Le débat qui s'est tenu à fait apparaître un quasi consensus sur le fait que le tuteur assume ces deux rôles.
Parmi les arguments énoncés :
- c'est ce qui se passe en présentiel
- comparaison avec le rôle parental : accompagner dans la vie mais aussi fixer des limites et évaluer leur respect par l'enfant
- L'important est d'outiller le tuteur : grille d'évaluation, barème, guide de correction...
- le tuteur est le mieux placé pour évaluer l'apprenant
- C'est aussi rassurant pour l'apprenant

les principaux arguments pour une séparation ont été les suivants :
- un tuteur c'est comme un entraineur, il prépare le sportif mais ce n'est pas lui qui l'évalue
- Dans la vie, on est souvent évalué par des personnes qui ne nous connaissent pas
- Lors d'un jury de thèse, il y a certes le directeur de recherche mais aussi d'autres personnes externes : c'est une façon d'entrer dans la communauté scientifique.

D'autres ont estimé qu'il s'agissait d'un faux problème. Peu importe qui évalue dès lors que l'évaluation est instrumentée (grille, critères, indicateurs) et que les étudiants sont informés par avance de la manière dont l'évaluation est produite.

Pour ma part, j'estime qu'il est préférable que ce soit la même personne. D'une part, c'est la réalité actuelle. D'autre part, si l'on souhaite que l'évaluation ne porte pas que sur le résultat ou la performance mais aussi sur le processus, c'est le tuteur qui est le plus à même pour la réaliser.
Je crois aussi, qu'il faut que l'évaluation soit pensée en amont, instrumentée et pourquoi pas fasse l'objet d'échanges en amont avec es apprenants afin de mieux prendre en compte l'atteinte des objectifs personnels des apprenants et pas seulement les objectifs académiques.
Enfin, il me semble nécessaire de préparer les tuteurs à leur rôle d'évaluateur car celui-ci ne va pas forcément sans difficulté. S'autoriser à porter jugement nécessite de penser à sa future pratique d'évaluateur, de porter un regard réflexif pour faire émerger ses biais lors de l'action d'évaluation et de partager avec d'autres afin de se perfectionner.

Jacques Rodet a dit…

L'enregistrement du colloque REFAD2010 est désormais en ligne à
http://webconf.teluq.uquebec.ca/p61584600/