lundi 21 juin 2010

Le tuteur à distance n'est pas un hot-liner. Par Jacques Rodet


La question de l'industrialisation du tutorat à distance a été d'actualité il y a déjà quelques années. Pour certains, les modèles appliqués dans de grands centre d'appels devaient être une source d'inspiration pour penser les services tutoraux. Est-ce que ceci constitue une réelle solution ? Le tuteur doit-il être un hot-liner ?

Dans les centres d'appels, les personnes en charge de répondre aux demandes des clients se voient confier deux missions principales : répondre efficacement à leurs interlocuteurs, gérer le temps de manière optimale. De ce fait, les concepteurs de ces centres d'appels sont amenés à proposer, à imposer, aux hot-liners des scénarios rigoureux qui sont construits à partir de la méthode du diagnostique. Poser un diagnostique, c'est orienter l'entretien afin que celui-ci prenne la forme d'un entonnoir. Il s'agit à partir d'une situation générale de poser un certain nombre de questions qui permettent au fur et à mesure d'isoler et d'identifier le problème puis de lui apporter une réponse prédéterminée. Cela emprunte également au principe cartésien de la division du problème complexe en un certain nombre de problèmes plus simples à résoudre individuellement. Une fois chacun des problèmes particuliers résolus, le problème complexe est réputé solutionné.

Il est certain qu'un tuteur à distance est fréquemment confronté à la nécessité de comprendre le besoin de soutien de l'apprenant et que la méthode du diagnostique peut lui être utile. Toutefois, ne parier que sur elle et donc l'utiliser de manière exclusive comme il est demandé aux hot-liners traduit, à mon sens, une vision incomplète des fonctions tutorales. En effet, si sur certains plans de support (administratif, technique) le tuteur doit apporter à une question, une réponse unique, ce n'est pas forcément le cas sur le plan cognitif, et de manière bien moindre sur les plans motivationnel et socio-affectif ou encore métacognitif.

Sur le plan cognitif, tout d'abord, l'objectif du tuteur n'est pas d'apporter des réponses ou des solutions toutes faites à l'apprenant mais bien plus d'amener celui-ci à les repérer ou à les élaborer. Si les FAQ ou les glossaires peuvent répondre de manière générique à certaines questions basiques sur le contenu de la formation, la plupart des difficultés des apprenants à aborder de nouvelles notions ou concepts sont liées à leur connaissances préalables, à leurs stratégies d'apprentissage, à leur processus d'apprentissage, à leur capacité à vivre le conflit cognitif, à leur habileté à accommoder les nouveaux apports et leurs représentations précédentes. Sur tous ces points ce sont bien des compétences de pédagogue qui sont nécessaires au tuteur pour aider l'apprenant et non celles d'un hot-liner. Contrairement à ce dernier, le tuteur ne parcourt pas un chemin balisé par un scénario conçu par avance mais va à la rencontre de l'apprenant, là où il se trouve, lui indique les différents chemins possibles pour atteindre son but, respecte le choix d'itinéraire de l'apprenant, l'accompagne et facilite l'avancée de l'apprenant en ayant conscience que ses interventions ne sont utiles que situées dans la zone proximale de développement de celui-ci. Ainsi, le tuteur ne peut adopter une attitude « rationnalisante », forcément mutilante, en réduisant la complexité de l'apprenant à des problèmes particuliers déconnectés les uns des autres, encore moins en allant piocher dans un guide de solutions toutes faites.

L'autre grande différence entre un tuteur et un hot-liner se situe dans la nature même du service délivré en réponse au besoin des individus avec lesquels ils échangent. Le hot-liner intervient de manière ponctuelle auprès d'un client pour résoudre une question ponctuelle d'ordre uniquement cognitif (administratif, commercial, technique). Le tuteur à distance intervient de manière longitudinale et transversale tout au long du parcours de formation de l'apprenant. Dès lors, il est amené à traiter d'éventuelles demandes de l'apprenant qui se situent sur d'autres plans. Intervenir pour soutenir la motivation, pour rompre l'isolement ou faire collaborer des apprenants entre eux, pour encourager l'apprenant à mieux s'évaluer comme apprenant nécessite des compétences non exigées d'un hot-liner. Ce sont celles du tuteur à distance. Mobiliser ses compétences, c'est-à-dire faire appel à ses connaissances, utiliser son savoir-faire et adapter son savoir-être n'est en aucune manière réductible pour le tuteur à distance au seul établissement d'un diagnostique amenant à délivrer une, et une seule, réponse.

Pour toutes ces raisons, je pense que le tuteur n'est pas un hot-liner, qu'il peut adopter dans certains cas les stratégies du hot-liner mais que ses interventions ne se limitent pas à celles-ci. Ce serait donc, à mon sens, une grave erreur de ne penser le tutorat à distance qu'à partir du modèle des centres d'appels à moins de n'avoir pour objectif que ceux visés par ceux-ci qui restent bien éloignés des services tutoraux que tout apprenant à distance est en droit d'attendre de son institution et de ses tuteurs à distance.

Voici l'image dans son contexte, sur la page : www.focusonlinecommunities.com/blogs/Finding_...

2 commentaires:

ocarbone a dit…

Il est par contre intéressant de relever que les centres d'appel et les hotline sont une mine d'information concernant les besoins des utilisateurs.

En étudiant les demandes qui débouchent aux hotline ou en collaborant avec les équipes hotline (ou toute autre équipe de type "pompier"), les pédagogues peuvent affiner leur contenu et mieux définir les supports qui permettront de transmettre (et de retrouver) )l'information :

Jacques Rodet a dit…

@ocaborne

Cette piste est peut-être envisageable mais ne permettra pas de dépasser la limite importante liée au fait que les besoins des apprenants ne sont pas ceux des utilisateurs. Il me semble essentiel de ne pas réduire l'apprenant à distance un utilisateur d'outils.

Où il me semble avoir davantage de choses à regarder, c'est la manière dont il est possible de garder trace d'interventions afin que leur réutilisation soit possible.

A cet égard, les recherches de l'INSA de Lyon sur la création de bases de données permettant de mémoriser les interventions tutorales effectuées (et non prévues) sont à suivre.