vendredi 30 avril 2010

Le Web 2.0 : des usages pour les tuteurs ? Par Lucie Audet


Simples, populaires, polyvalents et ouverts, les outils du Web 2.0 lèvent plusieurs
des contraintes que les technologies antérieures imposaient à la formation à distance
et qui la limitaient souvent à des démarches d’apprentissage transmissives,
textuelles et solitaires. En multipliant les choix et les scénarios utilisables,
le Web 2.0 lui donne l’occasion de remettre les outils à leur place, celle de moyens
au service d’objectifs d’apprentissage et de démarches pédagogiques.


Cette citation de la recherche que j’ai effectuée pour le Réseau d’enseignement francophone à distance du Canada (REFAD) est indicative des changements importants que pourraient apporter le Web 2.0 et les médias participatifs que l’on y associe — principalement les wikis, blogues, réseaux sociaux et sites de partage de médias— à la conception des formations à distance.

Mais quels pourraient être, comme me le demandait Jacques Rodet, les usages et impacts particuliers de ces outils sur les rôles, les compétences et les tâches liées à l’encadrement ou, pour reprendre les trois axes de son billet « Qui fait le tuteur à distance ? », sur le pouvoir, les savoir et le vouloir des tuteurs ? Examinons quelques pistes.

Le savoir : des compétences pour et par les médias sociaux

Quel que soit l’institution ou le mode de formation en cause, l’évolution du Web modifie nos façons d’interagir, d’apprendre et d’enseigner. Elle nécessite en conséquence le développement de certaines compétences, spécialement pour faire face à la surabondance des contenus qu’il offre, la multiplicité de ses outils, l’instantanéité, la mobilité et la personnalisation de ses communications.

L’amélioration des compétences informationnelles, sur lesquelles insistait déjà le Mémoire sur le développement de compétences pour l’apprentissage à distance (2), prend encore plus d’importance. Comme chaque internaute peut maintenant créer facilement des contenus, la quantité de données générées atteint des niveaux vertigineux. Le Web 2.0 nous offre toutefois de nombreux outils pour aider à la gestion de cette information et à la mise à jour de nos connaissances. En priorité, je suggérerais l’apprentissage de l’agrégation des flux (RSS ou autres), notamment ceux de blogues et de signets partagés (3). La création d’alertes de recherches automatisées est aussi fort utile. Ces instruments sont également indispensables pour assurer le suivi des étudiants lorsqu’ils contribuent à des médias sociaux.

Mais même à l’aide de ces outils, il est sans doute illusoire de penser s’informer adéquatement sans échanger avec d’autres praticiens et partager ses expériences. L’appartenance à une « communauté de pratique » est notamment un excellent moyen d’identifier, parmi les centaines d’applications qui sont créées quotidiennement, celles qui ont démontré leur utilité en formation. À cet effet, le Web 2.0 nous permet de prendre part à des groupes d’échange entre pairs, comme le réseau de t@d sur Facebook ou le gazouillis du REFAD sur Twitter. Mais il offre aussi de fréquentes occasions de participer virtuellement à des rencontres et à des discussions, par exemple au colloque Encadrement des étudiants en FAD : pratiques, réflexions et prospective le 7 mai.

Employer ces outils, d’abord comme lecteur puis progressivement comme commentateur et créateur, permet par la même occasion de développer des compétences en gestion de son identité numérique de façon à distinguer de façon appropriée ses espaces personnels et professionnels et à protéger leurs contenus. Les exemples qu’on y trouve aident aussi à mieux comprendre les utilisations et styles rédactionnels associés à chaque média social.

À l’inverse, les logiciels du Web 2.0 réduisent notre besoin de compétences techniques. Ce sont des outils à la portée de tous — leur popularité en témoigne — qui permettent de publier rapidement en ligne (4), sans dépendre de spécialistes ou nécessiter de formations approfondies (5).

Le vouloir : des usages pour l’interaction tuteur-étudiant

L’institution prescrit souvent les médias à mettre en œuvre dans un cours à distance, particulièrement pour les tâches menant à une évaluation sommative. Cependant, le tuteur dispose généralement d’une certaine latitude pour choisir ses propres modes de communication avec les étudiants ou ceux qu’il leur propose pour interagir entre eux. Il peut donc, dans ces contextes, utiliser ou suggérer certains logiciels du Web 2.0.

Par exemple, il peut les employer pour humaniser le contact tuteur-apprenant, développer ce lien affectif qui est souvent indispensable à l’apprentissage. Des présentations parfois convenues sont maintenant de mises dans presque toutes les formations en ligne. La publication de son propre blogue ou d’un profil dans un réseau social permet toutefois au tuteur d’établir un contact moins impersonnel (6), de partager plus informellement des opinions, des productions ou des lectures ainsi que certaines informations sur lui-même (photos, vidéos, préférences musicales, etc.).

Les wikis, qu’ils soient intégrés à un environnement d’apprentissage ou hébergés, sont pour leur part un excellent moyen de constituer des ressources collectives évolutives pour un cours, par exemple une foire aux questions, un glossaire ou une webographie. Ils permettent aussi de suivre facilement les diverses contributions faites à un travail d’équipe et donc de mieux les évaluer.

Beaucoup d’étudiants ont maintenant leurs propres blogues, réseaux sociaux ou microblogues (Twitter) ou déposent des ressources multimédias sur des sites comme YouTube (7). Les inciter à partager ces liens avec le groupe et inviter chacun à s’y abonner est une autre façon d’encourager l’interaction. Ces outils permettent en effet l’échange dans un contexte et un format moins contraignant et des discussions sur des sujets externes au cours. Ils facilitent l’ajout de contributions multimédias. Ils peuvent — particulièrement en ce qui a trait aux blogues — encourager les pratiques réflexives et l’expression écrite et constituer, à terme, un véritable portfolio professionnel pour l’étudiant. Les contributions qui y sont faites peuvent facilement être citées ou reprises dans un forum ou un autre environnement propre au cours. Pour le tuteur, le caractère souvent très personnel des remarques que l’on y publie peut aider à détecter des étudiants à risque d’abandon ou d’échec (8). Ces médias, particulièrement les microblogues, sont aussi pour le personnel d’encadrement des outils de communication rapides d’activités, de changements ou de ressources liés au cours.

Le pouvoir : vers une redéfinition des rôles ?

Au-delà de ces usages plus immédiats, ce que ces nouveaux réseaux paraissent annoncer de plus marquant en formation est un déplacement de la relation de pouvoir entre l’institution et ses tuteurs, d’une part, et entre ceux-ci et l’apprenant, d’autre part. Il s’agit en effet d’une évolution du Web où :

« L’initiative et le pouvoir migrent des formateurs et des technologues vers les étudiants et leurs communautés, qui coconstruisent leurs contenus et choisissent les technologies qui les supportent. Il permet des environnements d’apprentissage plus centrés sur l’apprenant, plus coopératifs et multimédias, où les outils comme les contenus sont en continuelle transformation. Cette évolution appelle à une redéfinition du rôle du formateur à distance : l’accompagnement en temps réel d’une démarche plus personnalisée des étudiants prend le pas sur l’expertise du domaine et le développement de matériels pédagogiques. » (9)

Je fais l’hypothèse que, dans ce contexte de changement rapide des technologies et des données, la « valeur ajoutée » d’une formation ne tient plus essentiellement à la richesse des contenus créés pour elle, une quantité phénoménale de ressources de haut niveau étant maintenant aisément accessibles en ligne. Elle est plutôt liée à l’intérêt du scénario pédagogique proposé et à la qualité de l’accompagnement nécessaire pour découvrir, interpréter, organiser et intégrer ces « données à l’échelle épique », selon l’expression de Anderson (2007) (10).

Ce besoin d’accompagnement continu accroîtra-t-il l’importance du rôle du tuteur ou pourra-t-il, au contraire, être largement assumé par l’entraide et la collaboration entre pairs que les outils du Web 2.0 facilitent aussi ? L’expérience des forums de discussion ou celle, plus récente, des multiples groupes professionnels plus ou moins actifs existant dans les réseaux sociaux indiquent, me semble-t-il, que les communautés — réelles comme virtuelles — ne s’autoaniment que très exceptionnellement. Des regroupements dynamiques comme ceux de t@d ou d’Apprendre 2.0 témoignent au contraire de l’importance d’une animation continue et de qualité, demandant un effort substantiel.

L’un des principaux défis que présentent ces outils, particulièrement pour les tuteurs, est en conséquence celui de la disponibilité et de la gestion du temps. Comme l’indique Jean-Paul Moiraud dans « Temps numérique, temps statutaire », les technologies sont généralement chronophages. Le phénomène s’amplifie avec le Web 2.0. La mobilité des terminaux, qui permet d’accéder en tout temps au Web, entraîne une quasi-instantanéité des communications et donc des attentes de réponses immédiates et de mises à jour fréquentes, souvent en parallèle sur plusieurs réseaux. Bref, les délais raccourcissent et les outils se multiplient. Comment pourra-t-on faire face à ce défi ? Faudra-t-il repenser l’organisation des tâches d’encadrement ? Implanter, par exemple, le tutorat en équipe ? Reconsidérer les exigences ou adapter la rémunération ?

On doit toutefois se demander si les institutions dédiées à la formation à distance adopteront ces médias autrement que comme moyens de promotion ou d’information. Leur capacité de favoriser la socialisation et donc de briser l’isolement dont on s’inquiète souvent en FAD suscite clairement un intérêt. Le projet Osmose au Cégep@distance en témoigne. Mais les expériences d’utilisation du Web 2.0 semblent, en fait, beaucoup plus nombreuses dans des contextes d’enseignement en présence ou bimodal. Peut-être est-ce justement parce que l’organisation des établissements spécialisés en FAD, souvent centrée sur l’expertise du contenu et son développement, sur des cycles de création et de mise à jour longs et sur un statut ad hoc des fonctions d’encadrement, s’y prête mal ? Ces institutions devront-elles se limiter à des cyberformations « toutes faites » pour des étudiants souhaitant un apprentissage plus individuel ? Ou sauront-elles s’adapter pour offrir aussi des cheminements plus constructivistes, en évolution constante, et repenser en conséquence les rôles de chacun et les fonctions d’encadrement ?

Bref, les outils du Web 2.0 sont à tout le moins des catalyseurs de questionnements profonds sur le métier de formateur, l’importance de l’interaction sociale en apprentissage (11) et le modèle d’éducation à distance à privilégier. Quelles que soient les réponses qui seront apportées, la réflexion suscitée est, en soi, un impact important de cette évolution du Web.

L'évolution du Web et son impact sur la formation à distance : un scénario possible.



Notes

(1) Audet, Lucie. (2010). Wikis, blogues et Web 2.0. Opportunités et impacts pour la formation à distance. Réseau d'enseignement francophone à distance du Canada (REFAD). 99 pages.


(2) Audet, Lucie. (2009). Mémoire sur le développement de compétences pour l’apprentissage à distance. Points de vue des enseignants, tuteurs et apprenants. Réseau d'enseignement francophone à distance du Canada (REFAD). 97 pages.

(3) Voir, à titre d’exemple, les flux agrégés par Carsten Wilhelm sur les TICE, les TIC, et la eFOAD, sous Netvibes, ou les signets du RÉCIT.

(4) Par exemple, Vandal (2006) écrit dans « Blogues et éducation - Tour d'horizon » que : « Montre en main, il ne faut pas plus de cinq minutes pour créer un blogue ».

(5) Au besoin, on trouve toutefois sur le Web de nombreux guides, entre autres les Fiches d’autoformation de Franc-parler ou celles du document Wikis, blogues et Web 2.0, ainsi que plusieurs tutoriels vidéos pour aider à les maîtriser.

(6) Selon Mazer, Murphy et Simmond (2007), dans “I’ll see you on “Facebook”: The effects of computermediated teacher self-disclosure on student motivation, affective learning, and classroom climate” et O’Sullivan et autres (2004), cités par Blattner et Fiori (2009), l’autodivulgation d’information par le formateur contribuerait à la perception positive de l’enseignant et du cours par les étudiants.

(7) Les deux tiers des internautes utiliseraient maintenant les réseaux sociaux selon Universal McCan (2009).

(8) C’est ce qui se serait produit à l’Université de Brighton selon ce que Franklin et Harmelen (2007) indiquent dans “Web 2.0 for Content for Learning and Teaching in Higher Education”.

(9) Audet, L. (2010), op.cit.

(10) Anderson, Paul. (2007). What is Web 2.0? Ideas, technologies and implications for education. JISC Technology and Standards Watch. 64 pages.

(11) À ce sujet, voir notamment Chomienne (2010) : « Le projet Osmose : bilan de six mois d'expérimentation » dans Le Bulletin Clic.


Source de l'image : http://edgewatertech.wordpress.com/2008/11/18/web-20-for-insurance-questions-and-answers/

mardi 27 avril 2010

Paroles de chercheur : Jean Loisier


Jean Loisier, Ph.D en Sciences de l'Education, U. de Montréal, expert-conseil
en communication est l'auteur d'un récent mémoire réalisé pour le REFAD : Mémoire sur l'encadrement des étudiant(e)s dans les formations en ligne offertes aux différents niveaux d'enseignement.

Suite à la publication de ce mémoire, il a accepté chaleureusement l'idée de cet entretien à distance qui vient enrichir notre rubrique "Paroles de chercheur". J'espère que sa lecture permettra à ceux qui ont déjà pris connaissance du mémoire de Jean, d'approfondir leur connaissance de sa pensée et aux autres de la découvrir.



Jacques Rodet :
Dans la première partie du mémoire, tu fais un rapide tour de l'historique des différentes sortes de formations à distance et de celles utilisant la technologie. Tu procèdes aussi à la distinction entre formations asynchrones et synchrones. Aujourd'hui, comme tu le soulignes, nous pouvons constater une mixité de ces formes au sein d'un même dispositif de formation. Quel est ton sentiment sur cette évolution ?


Jean Loisier : Je n’ai pas vraiment de « sentiment » en regard de cette évolution; je ne fais que la constater.


J.R. : Est-elle inéluctable ?

J.L. : L’histoire des techniques développées par l’homme pour communiquer à distance et transmettre sa pensée et ses connaissances à travers le temps nous montre que le perfectionnement de ces techniques se fait selon un principe de facilitation de la communication humaine. Celle-ci repose sur trois activités intellectuelles : le traitement des données de l’environnement, la mémorisation et l’échange d’informations par interaction avec autrui. Le perfectionnement de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler les TICs, vise à soutenir ces trois activités. Les développements se font donc dans trois secteurs : programmes de traitement des données complexes (reconnaissance de formes, de processus, etc.), accroissement des capacités de mémoire des supports, et accroissement des capacités des télécommunications (bandes passantes) et de disponibilités d’accès (mobilité).

Quant à distinction entre « synchrone » et « asynchrone », elle était pertinente lorsque les télécommunications synchrones (par exemple : téléphone) étaient réservées à des échanges pour des décisions rapides ou des coordinations d’actions collectives, alors que tous les autres échanges d’informations passaient par le courrier postal. Aujourd’hui, la diachronie (asynchronie) est minimisée par l’instantanéité des moyens de transmission qui fait que, parfois, certains échanges successifs par courriel ressemblent à de la messagerie instantanée ou au clavardage. Les dispositifs d’alerte et de mise en réseau sur internet (web 2.0) vont dans le sens de l’obsolescence de cette distinction.

En outre, la communication humaine, elle-même, n’est pas vraiment synchrone puisqu’en principe chaque interlocuteur attend, en principe, que l’autre ait fini de parler pour réagir, sinon c’est la cacophonie et un dialogue de sourds.

En bref, compte tenu des progrès techniques, nous nous habituons à des échanges médiatisés plus interactifs. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes : chacun s’attend à des réactions rapides à ses messages, même si ceux-ci sont produits dans sa propre « logique temporelle » qui ne correspond pas nécessairement à celles de ses correspondants. C’est sans doute en ce sens qu’il faut d’abord comprendre certaines attentes des étudiants à distance à l’égard de leurs tuteurs.

J.R. :
Cette évolution est-elle souhaitable pédagogiquement ?


J.L. : J’ai montré, il y a bien longtemps (dans ma thèse de doctorat), que les « sciences de l’éducation » ont eu davantage tendance à adopter des technologies venues d’ailleurs plutôt que d’en développer elles-mêmes. On constate qu’avec l’avènement des TICs cette tendance s’est confirmée. Comme dans d’autres domaines, le perfectionnement rapide de ces outils de communications rendra la communication médiatisée plus transparente et conviviale, semblable à une interaction humaine en présence, c’est-à-dire naturelle. En éducation, n’ayant plus à se préoccuper des limites et problèmes techniques, on devra de nouveau se pencher sur les aspects pédagogiques de l’enseignement-apprentissage : objectifs d’apprentissage, compétences visées, modalités d’intellection et de compréhension, encadrement humain, évaluation.

J.R. : Quels seraient selon toi les principaux critères pour associer de manière heureuse et pertinente ces différentes approches ?

J.L. : C’est en fonction de dispositions pédagogiques déterminées sous ces différents aspects et des activités qui en découlent que l’on aura à choisir les outils les plus adéquats. On ne choisit pas un outil a priori avant de savoir ce qu’on se propose de faire. Malheureusement ça a été trop souvent le cas en éducation durant les cinquante dernières années, depuis qu’on y a introduit diverses technologies : audio-visuel, informatique, internet …

J.R. :
Tu décris la plupart des modalités de communication asynchrones et synchrones qui sont utilisées en formation à distance. Pourtant, tu n'abordes pas les réseaux sociaux. Est-ce parce que tu considères ceux-ci comme étant de simples espaces d'intégration des modalités de communication ?


J.L. : Comme je l’ai évoqué plus haut le web 2.0 minimise les temps de latence entre les échanges « asynchrones ». Chacun peut diffuser rapidement à son réseau d’amis ou d’abonnés, les messages qui lui semblent importants. Chaque membre d’un réseau particulier ayant lui aussi son propre réseau interconnecté avec celui des autres, il s’ensuit une cacophonie, ou plutôt un patchwork de morceaux de discours où chacun tente d’imposer ses thèmes, ses agendas et ses points de vue pour s’emparer de « l’actualité ».

Cette modalité de discours éclaté, fait d’informations disparates juxtaposées dans des files de nouvelles, achève le processus de banalisation de tous les sujets et d’aplatissement de l’échelle des valeurs, amorcé par les médias de masse depuis plus d’un demi-siècle. Dans les années 60 bien des analystes des médias dénonçaient à l’époque la juxtaposition spatiale (dans les journaux et magazines) ou temporelle (dans les médias électroniques) de sujets futiles comme les déboires sentimentaux d’une starlette et la prise du pouvoir par une junte militaire dans un pays du tiers monde, ou encore, la découverte d’une nouvelle nébuleuse par un astrophysicien. À l’heure où chacun peut diffuser ses propres états d’âme sur tout et n’importe quoi, dans des messages de plus en plus brefs (Twitter, sms, etc.), seuls les événements inattendus et qui frappent l’imagination ou l’affectivité, émergent.

En outre, l’accent mis par le web 2.0 sur la rapidité de diffusion démultipliée impose la dictature de « l’actualité » et marginalise les processus de mise en perspective, d’analyse des processus évolutifs, de réflexions diachroniques. Quelques journalistes des grands médias de la francophonie, qui se sont soumis récemment à une expérience d’isolement pendant une semaine dans une retraite où ils n’avaient accès qu’aux « files d’événements » des principaux réseaux (Twitter, Facebook, etc.), on constaté qu’ils s’étaient sentis soumis à l’emphase étriquée de quelques événements sans perspective l’évolution de la planète. Ceci a, selon moi, de graves conséquences sociologiques qui se traduisent, entre autres dans les sociétés techniquement développées, par des populations plus versatiles aux valeurs et aux choix plus affectifs qui soutiennent des gouvernements souvent éphémères et à courte vue.

Mais ces réflexions viennent peut-être du fait que je ne suis pas de nature extravertie et que je ne vois pas l’intérêt de déverser vers mes amis ou collègues mes états d’âme, mes révoltes spontanées, ou même, mes pensées embryonnaires. Je préfère que ces dernières soient plus élaborées pour les diffusées; mais alors elles ne sont plus d’actualité !

En outre, je reste très marqué par cette pensée de Marshall McLuhan, dans les années 60 : « Le médium c’est le message ». En bref, ce n’est pas tant le contenu véhiculé par un média qui importe socialement que les comportements de communication qu’il génère. 140 caractères sur Twitter ou par sms, même si on peut y inclure des liens, c’est peu pour amorcer une réflexion. On développe alors une communication par « coups de cœur ».

J.R. : Considères-tu que les usages pédagogiques des réseaux sociaux ne sont pas encore suffisamment établis ?

J.L. : Il va de soi que les réseaux sociaux sont tout à fait adaptés aux communautés de pratique, aux groupes d’intérêts et aux mouvements sociaux pour le partage rapide d’informations et pour une mobilisation des membres. Ils peuvent être utiles aussi pour créer des dynamiques de classes virtuelles, si utiles pour contrer l’isolement des étudiants à distance et générer l’émulation au sein du groupe.

Mais, comme je l’ai déjà mentionné, l’outil ne doit pas être choisi a priori. Lors de l’élaboration de tout programme de formation on doit d’abord déterminer les objectifs d’apprentissages puis les stratégies pour les atteindre ; ce n’est qu’alors qu’on peut produire des activités adaptées et déterminer les outils propices à les réaliser.

J.R. :
Tu as consacré la deuxième partie de ce mémoire aux étudiants à distance. Tu montres toute la variété des différents publics de la formation à distance et le souhait pour chaque étudiant d'obtenir l'encadrement dont il a besoin au moment où il en a besoin. Il apparaît essentiel de bien connaître les profils d'étudiants pour leur offrir des services tutoraux adaptés. A cet égard, tu fais référence à diverses recherches dont les résultats sont comparables et que je résume ainsi : un étudiant souhaite pouvoir obtenir des réponses à ses questions, accéder rapidement à son tuteur et à ses réponses, obtenir des précisions tant sur le contenu que sur les consignes des activités, bénéficier de rétroactions sur ses travaux.
Si ces indications sont précieuses, se révèlent-elles suffisantes, à ton avis, pour penser un système tutoral ?

J.L. : Plusieurs des études dont j’ai pris connaissance se placent du point de vue du tuteur, constatent les difficultés qu’il rencontre dans l’exercice de ses fonctions et se terminent bien souvent par des prescriptions, non pas pour le tuteur, mais pour l’étudiant à distance. Pour quelqu’un comme moi qui a œuvré durant une période de sa carrière en communication-marketing, il y a dans cette attitude quelque chose d’à la fois paradoxal et comique, et au final de contre-productif. Dans la communication d’échanges de biens et de services, qu’on appelle commerciale, le demandeur est prioritaire. Si le contexte de l’offre ou son représentant, agent ou vendeur, impose des contraintes de disponibilité, par exemple, le demandeur (client) risque d’aller voir ailleurs ou tout simplement de ne pas persister dans son intention d’acquérir le service ou le bien souhaité. Je pense que, dans le contexte éducatif concurrentiel actuel en raison du développement de la formation à distance, il importe aux institutions qui offrent ces formations de développer un esprit de service à l’étudiant. C’est la raison pour laquelle, dans le second chapitre du rapport sur l’encadrement qui porte sur les étudiants en ligne, j’ai privilégié les études qui se sont intéressées aux attentes des étudiants, et non à celles des tuteurs. En bref, dans l’immédiat, les attentes mentionnées dans le libellé d’introduction à la question devraient être prises en compte prioritairement par les tuteurs.

J.R. : De quelles autres informations sur les futurs apprenants d'une formation à distance, le concepteur aurait-il besoin pour déterminer des services d'encadrement adaptés ?

J.L. : Comme je crois l’avoir mentionné dans le rapport, le problème central de tout tuteur, comme de tout enseignant, est de « comprendre pourquoi l’étudiant ne comprend pas ». Comment interpréter le faisceau de questions qu’un étudiant pose pour bien comprendre la problématique sous-jacente qui ralentit son processus d’apprentissage ? C’est cette question fondamentale qui doit être préalable aux préoccupations d’ordre logistique, pour l’élaboration d’un système tutoral.

J.R. :
Comment le concepteur pourrait-il recueillir ces informations ?


J.L. : Des études plus approfondies, c’est-à-dire plus analytiques selon une approche psycho-sociale, devraient être menées, afin d’optimiser les contextes d’apprentissage selon les niveaux et surtout selon divers profils, à défaut de produire des programmes de formation individualisés.

J.R. : Dans la troisième partie, tu présentes les définitions de différents chercheurs sur le concept d'encadrement. Celles-ci sont assez contrastées et se déclinent sur un continuum allant de la désignation d'activités précises par certains auteurs à des définitions plus globalisantes par d'autres. Comme tu le sais, je privilégie l'expression « système tutoral » à celle d'encadrement. Par là, je veux souligner que les différentes ressources et personnes-ressources auxquelles les apprenants ont accès doivent constituer un tout cohérent et coordonné. Quelle est ta conception de l'encadrement ?

J.L. : Je pense qu’en filigrane du rapport, on peut percevoir que ma conception de « l’encadrement » est proche de ce que tu désignes par « système tutoral ». En ce sens, je pense qu’il s’agit d’un débat sémantique, mais que le référent est le même. Toutefois, pour le plaisir de la discussion, je dirais que si le terme « système » implique davantage une idée de complexité et d’ouverture que le terme « d’encadrement », en revanche, celui de « tuteur » sous-entend une certaine directivité, sans doute souhaitable aux niveaux primaire et secondaire, mais en contradiction avec l’objectif d’autonomisation des étudiants à distance des niveaux supérieurs. Quant à moi, je proposerais l’expression « dispositifs d’accompagnement » qui inclut à la fois les divers intervenants dans le processus de formation, les dispositions administratives et les ressources.

J.R. : De la même manière, il existe différents termes pour désigner les personnes qui aident d'autres personnes en situation d'apprentissage. Tu constates que tuteur, mentor, coach sont celles qui reviennent le plus souvent dans la littérature. Pour ma part, je les distingue ainsi : « Le tuteur intervient auprès d'un apprenant dans un dispositif de formation alors que le mentor accompagne un individu dans toutes les dimensions de sa vie. Par ailleurs, le coach intervient auprès d'un professionnel pour l'aider à améliorer ses compétences professionnelles. Le maître d'apprentissage d'un étudiant en alternance, appelé également tuteur d'entreprise, emprunte tant au coach qu'au tuteur. » Selon toi, pourquoi existe-t-il une aussi grande variété sémantique ?

J.L. : Comme tu l’énonces, les termes utilisés réfèrent à des types d’interventions différents auprès des apprenants : le mentor accompagne le développement personnel, le coach aide à l’amélioration des performances, le tuteur intervient dans un processus de formation particulier. À la page 30 du rapport sur l’encadrement, je propose un continuum de types d’interventions, incluant deux autres types d’intervenants, les instructeurs et les enseignants, selon qu’on met l’accent sur la dispensation du savoir (enseignant) ou le développement de la personne (mentor).

Dans mon rapport j’ai tenté de situer « l’encadrement » dans une vision assez large pour inclure aussi bien les interventions relatives aux apprentissages que celles relatives au développement personnel. C’est la raison pour laquelle réduire « l’encadrement » -dans son sens large de « dispositifs d’accompagnement »- au tutorat me semble réducteur.

J.R. :
Cette pluralité de termes tient-elle à la variété des contextes ou bien à l'existence de difficultés particulières pour bien cerner et reconnaître, y compris statutairement, les fonctions des tuteurs ?


J.L. : Cela ne tient pas à la variété des contextes mais à la variété des objectifs d’intervention dans le domaine de l’éducation et de la vie en général. Quant aux attributions professionnelles des tuteurs, elles doivent être discutées. On constate que dans plusieurs institutions de formation à distance, les « tuteurs » ne sont pas associés à l’élaboration des programmes et des cours qu’ils auront à encadrer et dans bien des cas, ils ne sont même pas spécialistes de la matière enseignée. Pourtant, l’essentiel des attentes des étudiants a trait aux contenus de cours, à leur explicitation. Par ailleurs, on constate que, malgré plusieurs années d’expérience de formation à distance, peu d’enseignants sont prêts à s’engager dans cette voie pour la raison, entre autres, que l’encadrement des étudiants à distance prend beaucoup plus de temps qu’avec des groupes en classe. Il me semble qu’une réflexion en profondeur sur le processus « d’enseignement-apprentissage », indépendante des intérêts corporatistes des divers intervenants, est nécessaire. Avec l’ampleur croissante des connaissances savantes et vulgarisées mises en ligne, le rôle de l’enseignant se déplace de la fonction de « transmission » à la fonction « d’aide à l’intégration » par l’étudiant des contenus afférents à ses activités d’apprentissage. En d’autres termes, les rôles d’enseignant et de tuteur d’apprentissage tendent à se fusionner. C’est dans cette optique que l’on devrait aborder une réflexion sur le statut des tuteurs.

J.R. : Tu identifies différentes formes d'encadrement de « la plus plus objective à la plus empathique » : l'information, l'évaluation, le soutien, l'animation, l'accompagnement. Tu soulignes aussi que la variété des fonctions, des pratiques et des compétences interdisent de confier l'encadrement à une seule et même personne, que nous appelons tous les deux le « tuteur-orchestre » (cf. mon texte Inconvénients de la figure du « tuteur-orchestre » Tutorales n°5). Tu proposes donc de distinguer les rôles des éducateurs, des formateurs, des tuteurs et des intervenants dits « non-enseignants ». La variété des fonctions impliquerait donc des dénominations distinctes. Celles-ci se révèlent d'ailleurs utiles dans la perspective de la conception d'un système tutoral. Pour autant, ce qui fait trait d'union entre-elles est bien le fait que les acteurs désignés investissent certaines fonctions tutorales. A titre d'exemple, pour le système tutoral du Master MFEG de l'université de Rennes 1, nous avons bien établi les différents périmètres des fonctions tutorales des acteurs mais avons volontairement retenu le terme de tuteur auquel est adjoint d'autres termes précisant leur rôles : tuteur-programme ; tuteur-administratif ; tuteur-technique ; tuteur-cours ; tuteur-projet et tuteur-pair. Selon toi, est-il problématique de désigner les acteurs comme étant des tuteurs ?

J.L. : Comme je l’ai indiqué précédemment), personnellement je préfère le concept « d’accompagnement » à ceux « d’encadrement » ou de « tutorat ». Cet accompagnement se décline selon les divers domaines d’interventions : pédagogique, administratif, technique, et aussi psychologique. Je pense que le terme de « tuteur » est accompagné de connotations historiques qui, chez l’apprenant et chez le dit « tuteur », induisent le sentiment de dépendance du premier par rapport au second et suscitent peut-être un interventionnisme excessif du second auprès du premier. Bien sûr, cette conception s’applique surtout pour une clientèle d’apprenants adultes. L’encadrement et/ou le tutorat, aux sens communs des termes, restent sans doute pertinents au niveaux de formation primaire et secondaire.

J.R. : S'agirait-il d'un problème relatif au fait que les fonctions tutorales de ces personnes sont secondes par rapport à leurs autres fonctions ?

J.L. : À quelles fonctions fait-on allusion dans cette question ? S’il s’agit des diverses formes d’accompagnement que les enseignants, les techniciens, les agents d’administration, etc., sont amenés à assumer dans l’exercice de leurs fonctions, il est possible que plusieurs d’entre elles réalisent des interventions « tutorales » sans le savoir. Il serait sans doute important, en regard de la culture organisationnelle, que toutes ces personnes qui ont un contact direct avec les étudiants soient sensibilisées au principe de « service à la clientèle » étudiante.

J.R. : D'un problème plus symbolique relié au prestige de certaines dénominations par rapport à celle de tuteur ?

J.L. : Il y aurait sans doute, là aussi, à faire une enquête de perception de la fonction de « tuteur » auprès de ces différents intervenants pour savoir comment la rectifier, au besoin.

J.R. : D'un problème statutaire ?

J.L. : Je ne doute pas que certaines corporations, découvrant une nouvelle fonction à leur profession, ne cherchent à la faire valoir pour un changement de statut et de rémunération !

J.R. : Dans le chapitre 4, tu abordes de manière concrète l'encadrement. Tu identifies notamment trois phases de son déroulement : l'amont de la formation que tu nommes « Le temps de l'avant », le cœur de la formation intitulé « Le temps de l'action », l'aval de la formation désigné comme « Le temps du suivi ». Pour chacune de ces phases, tu précises différentes étapes et actions à mener pour encadrer les apprenants. J'ai relevé que les éléments préconisés pour « Le temps de l'avant » étaient nombreux, variés et principalement centrés sur l'information, la clarification du projet de l'apprenant, le choix des parcours. Tu relèves aussi pertinemment que l'encadrement peut être envisager de deux points de vue que j'estime en tension, celui du prestataire de formation et celui du futur apprenant. Si je te rejoins sur le fait qu'une démarche cohérente et pédagogiquement responsable devrait viser la satisfaction des besoins du futur apprenant, celle-ci est davantage constatée auprès d'institutions qui ne sont pas entièrement soumises aux contraintes économiques ou de manière moins lourde que celles qui interviennent sur un marché très concurrentiel. Cela m'amène à te demander s'il peut exister un retour sur investissement pour l'institution qui soit lié à la mise en place du « Temps de l'avant » ?

J.L. : Dans le contexte économique actuel, je ne suis pas sûr qu’il y ait encore des secteurs, tels que l’éducation ou la formation, qui échappent aux contraintes économiques. En milieu scolaire, de plus en plus, des mesures d’indices de performances sont mis en place. Aux niveaux supérieurs, ces mesures sont plus diffuses mais tout aussi réelles. En Amérique du nord, les universités sont des corporations privées; elles se disputent des clientèles étudiantes qui ont développé dans d’autres domaines des comportements de consommateurs avertis et qui, de ce fait, sont plus prudentes dans leur choix de formation. En outre, depuis quelques années, plusieurs médias se sont spécialisés dans la présentation des performances comparatives des institutions éducatives, selon divers critères.

En conséquence, les institutions éducatives même publiques découvrent les notions de « marché » et de « concurrence ». Leurs revenus, subsides et frais de scolarité, dépendent de l’attrait qu’elles exercent auprès des clientèles potentielles. Elles n’ont donc plus le choix de se faire valoir par le prestige des diplômes et par les services et le soutien (accompagnement) qu’elles offrent. Tout comme les grandes entreprises modernes, elles devront porter attention à leur culture organisationnelle et à leur orientation client. Aux États-Unis, par exemple, les grandes institutions universitaires, grâce à leur prestige lié à leurs services et à la valeur de leurs diplômes, fonctionnent exclusivement sur leurs frais de scolarité et les subsides de leurs riches donateurs, souvent anciens étudiants. Pour ce faire, elles font la promotion de leurs ressources : professeurs-vedettes, laboratoires et équipements de pointe, dispositions pédagogiques, etc. Quant aux institutions publiques, c’est le nombre d’inscrits qui détermine les subsides de l’état.

En bref, les institutions n’échappent pas à la logique économique du « marché ». Pour optimiser le retour sur investissement, il faut, comme dans d’autres domaines, arrimer les changements organisationnels aux attentes de la clientèle.

J.R. : Tu déclines « Le temps de l'action » en cinq phases. Celles-ci me semblent bien adaptées pour un parcours dans lequel sont prévues des activités de collaboration. En ce sens, elles alternent les modalités de rencontres, de travail en autonomie, en collaboration et un temps d'évaluation de la production des apprenants. Si la collaboration est une modalité qui se répand, ne présente-t-elle pas, selon toi, une certaine restriction à l'accessibilité des formations ?

J.L. : Tout comme les outils technologiques, les stratégies pédagogiques ne doivent pas être considérées a priori, c’est-à-dire avant d’avoir déterminé les objectifs pédagogiques et le ou les profils des étudiants auxquels une formation s’adresse. L’apprentissage collaboratif est une stratégie pédagogique parmi d’autres, qui est adaptée ou non à certains objectifs pédagogiques. En revanche, lorsqu’on juge qu’elle est pertinente, les outils technologiques de plus en plus transparents et conviviaux, incluant les réseaux sociaux, permettent la collaboration en ligne. Je ne vois pas donc d’obstacle majeur.

J.R. : La planification d'activités collaboratives, souvent en synchrone, ont pour effet de rigidifier le déroulement de l'action de formation, du moins à ne pas permettre pleinement la prise en compte des différences de rythme d'apprentissage des apprenants. Par ailleurs, elles présentent des avantages pour la satisfaction des besoins des apprenants sur les plans motivationnel et socio-affectif. Il apparaît donc que l'insertion d'activités collaboratives dans un parcours doit faire l'objet d'une analyse de la part des concepteurs entre les avantages et les inconvénients qu'elles présentent. Comment, à ton avis, peut-on procéder à cette analyse ?

J.L. : Il va de soi que les activités collaboratives ne conviennent pas à des formations individualisées basées sur le respect du rythme d’apprentissage de chaque apprenant.

Outre les avantages sur les plans motivationnel et socio-affectif, les activités en groupe, en classe ou à distance, présentent certains avantages pédagogiques. Par exemple, le processus dialectique mis en œuvre permet, notamment pour l’analyse des cas et la résolution de problèmes, la confrontation d’arguments. Ceux-ci se raffinent au fil des interactions et l’apprentissage des participants s’en trouve sans doute bonifié.

Quant à l’insertion des activités collaboratives dans le parcours de formation, il importe de les encadrer dans le temps. Comme dans tout processus de recherche, il doit y avoir une première période de découverte et de définition commune de la problématique de l’activité proposée, puis une période de recherche et d’exploration de la documentation, puis une période de discussion argumentaire, et enfin une période de construction d’un consensus. L’expérience des concepteurs devrait leur permettre d’établir des balises temporelles pour chacune de ces étapes et celle des tuteurs devrait leur permettre d’intervenir de manière à ce que les apprentissages se fassent dans les durées imparties.

En dehors des activités d’étude de cas et de résolution de problèmes, l’apprentissage collaboratif n’est peut-être pas la meilleure stratégie d’enseignement-apprentissage. Mis à part les témoignages emphatiques de praticiens convaincus, à ma connaissance, aucune étude méthodologiquement acceptable n’a fait la preuve de la supériorité pédagogique de l’apprentissage collaboratif par rapport aux autres modalités d’apprentissage. Par exemple, le processus de découverte et de structuration d’un corpus de connaissances par le croisement de multiples recherches intuitives réalisé par un groupe d’apprenants me semble plus lent, aléatoire et onéreux en énergie qu’une présentation initiale du champ de connaissances et de son réseau conceptuel, suivie d’une exploration individuelle par l’étudiant et d’une éventuelle mise en commun.

En outre, les observations, sur plusieurs années, du fonctionnement des communautés de pratique montrent que, dans de tels groupes, il y a quelques individus actifs qui génèrent l’information et un nombre plus grand de passifs qui la consomment. On retrouve ce clivage dans le fonctionnement des groupes d’apprentissage en classe ou en ligne. Lors de ma longue expérience d’enseignement en classe et à distance j’ai constaté les réticences des étudiants les plus motivés à fonctionner en groupe, sachant qu’ils en seraient les locomotives.

J.R. :
A partir de quelles données réaliser cette analyse ?


J.L. : Les activités collaboratives doivent d’abord correspondre à une nécessité d’apprentissage, pour le développement des aptitudes à travailler en équipe pour la résolution de problèmes et la prise de décisions collectives : en gestion, en ingénierie ou en médecine par exemple. L’apport attendu de chacun des participants et les délais de réalisation doivent y être précisés au départ. Ces activités doivent se situer en aval d’une exploration magistrale ou individuelle du domaine d’application, pour éviter la superficialité des analyses collectives et les errements en regard des solutions recherchées. En aval de ces activités, une analyse et un feedback précis d’experts du domaine (profs) sur les solutions proposées doivent être communiqués rapidement aux étudiants.

Une bonne structuration des activités collaboratives devrait permettre leur intégration harmonieuse au sein d’un programme de formation diversifié.

J.R. : Tu caractérises « Le temps de suivi » comme étant celui de l'évaluation. Tu marques une préférence, que je trouve heureuse, pour l'évaluation formative se traduisant en autres par la production de rétroactions. J'ai souvent constaté que les institutions éducatives n'avaient qu'une conscience relative de la nécessité des rétroactions, quand ce n'est pas de l'évaluation formative. « Le Temps de suivi », comme « Le temps de l'avant » se révèlent être pour certaines institutions un trou noir. Quelles seraient, selon toi, les actions à mener pour changer cela ?

J.L. : Je me risquerais à dire qu’on ne peut bien évaluer que si on sait clairement ce qu’on attend de l’étudiant; en bref, si on a bien défini les objectifs spécifiques lors de l’élaboration de la formation. Au-delà du débat, à la mode, entre les objectifs de « connaissance » et ceux de « compétence », il convient de préciser au départ les processus cognitifs (savoirs), manipulatoires (savoir-faire) ou comportementaux (savoir être) que l’étudiant doit maîtriser à la fin de son apprentissage et les indices tangibles qui en témoigneront. L’évaluation portant sur la présence ou non de ces indices et leur performance de réalisation, sera alors plus aisée. En bref, la « culture du suivi » commence par la « culture de la planification ».

J.R. :
Existe-t-il, ici aussi, des éléments qui permettraient de mesurer le retour sur investissement des actions d'encadrement du « Temps de suivi » ?


J.L. : Il est certain que, bien souvent, les étudiants se plaignent du peu de feedback qu’ils reçoivent de leurs divers travaux et productions. Une observation empirique montre que ces mêmes étudiants déclarent ne pas toujours bien comprendre ce qu’on attend d’eux. Ces perceptions, justifiées ou non, contribuent au maintien de la motivation et plus globalement au désir, ou non, de persévérer dans le programme, voire dans l’institution.

En bref, le temps du suivi fait aussi partie du « service à la clientèle », variable importante pour le « niveau d’attrait » d’une institution, lui-même paramètre du calcul du retour sur investissement.

J.R. : Dans le cinquième chapitre, tu abordes l'encadrement pédagogique et après avoir brossé un rapide panorama de l'apparition de la figure du tuteur et de son évolution, tu avances l'idée, partagée par différents auteurs, qu'il y a nécessité de concevoir, de planifier et de coordonner les actions des différents types de tuteurs. Je repère ici un souci comparable au mien qui a aiguillonné ma réflexion et mes propositions en faveur d'une réelle ingénierie tutorale. Aussi, j'aimerais savoir, à quel moment, à ton avis, le scénario d'encadrement doit-il être conçu ?

J.L. : La question ainsi posée en regard de la notion de « scénario » recentre implicitement l’encadrement sur le processus d’apprentissage comme tel, dans le cadre d’un cours ou d’un programme. Un scénario, définissant une séquence d’activités planifiées, ne peut s’intégrer que dans un processus déterminé. En ce sens la notion de scénario exclut les dispositifs d’accompagnement du temps de l’avant et en partie ceux du temps du suivi ainsi que les services parallèles d’accompagnement individuel (santé physique et soutien psychologique. En bref, un scénario d’encadrement est nécessairement lié aux aspects pédagogiques planifiés. Comme pour le choix des activités pédagogiques, le scénario d’encadrement découle des objectifs spécifiques posés préalablement. Si les activités sont majoritairement collaboratives le scénario d’encadrement sera prioritairement axé sur l’animation et la régulation du groupe d’apprenants. En revanche, si les activités proposées jalonnent un apprentissage individualisé, le scénario d’encadrement sera prioritairement axé sur le maintien de la motivation et le soutien psychologique.

J.R. :
Est-ce que le scénario d'encadrement doit toujours être conçu après le scénario pédagogique et donc venir en réponse à celui-ci ?


J.L. : Si on parle toujours de scénario d’encadrement, je viens de répondre à cette question. Toutefois, si on considère l’encadrement dans le sens large « d’accompagnement » de l’étudiant, comme je l’ai expliqué plus haut, la partie extra-pédagogique des dispositifs d’encadrement peut être élaborée avant le scénario pédagogique comme tel.

J.R. :
Ou bien, peut-il être pensé de manière concomitante et donc influer sur le scénario pédagogique ?


J.L. : Ce n’est pas le « scénario d’encadrement » qui peut être concomitant, mais la « fonction conseil » en encadrement. Si, lors de l’élaboration d’un programme de formation, on dispose de personnes expertes en diverses techniques d’encadrement des groupes ou des personnes, il va de soi que leur expertise guidera l’élaboration du scénario pédagogique en prévoyant les difficultés d’apprentissage auxquelles elles devront éventuellement remédier selon les stratégies et les activités pédagogiques choisies.

J.R. : Autrement dit, si l'on considère l'encadrement comme un support à l'apprentissage et les ressources comme l'incarnation du discours de l'enseignant, la place du tutorat et son poids dans le processus de conception ne qualifie-t-il pas déjà l'approche pédagogique choisie ?

J.L. : C’est justement ce morcellement de l’enseignement-apprentissage entre expert-concepteur et tuteur qui pose problème. Lorsque le prof est le seul intervenant dans son cours, s’il a le moindrement d’expérience, il est capable de faire les ajustements pertinents entre les exigences du contenu et les besoins des apprenants. Or, la dichotomie, prof-expert d’une part et tuteur d’autre part, que l’industrialisation implicite de la formation a provoquée, a aussi généré un conflit de statuts.

Dire que le poids du tutorat dans le processus de conception d’un programme de formation « qualifie » l’approche pédagogique choisie, me semble inexact. Tout comme pour la question précédente, ce n’est pas le poids du tutorat dans le scénario d’apprentissage qui est en cause ici, mais le rôle conseil que l’on accorde aux personnes expertes en tutorat lors de l’élaboration de ce scénario d’apprentissage. Les experts en tutorat peuvent se sentir « frustrées » que leurs remarques et suggestions ne soient pas prises en compte. La négligence de la fonction conseil tutorale peut entraîner la mise en opération d’une formation inadaptée à une clientèle donnée.

Quant à ta proposition d’une « ingénierie tutorale » elle semble déborder la fonction tutorale recouvrant plusieurs fonctions d’encadrement énoncées par divers auteurs. Il semble que tu souhaites substituer le processus « d’ingénierie tutorale » à celui « d’ingénierie pédagogique »; ceci revient à prioriser l’encadrement sur l’enseignement-apprentissage. Dans l’évolution actuelle des modalités d’enseignement-apprentissage, on constate que la production des contenus d’apprentissage est confiée de plus en plus à des équipes d’experts, parfois dissociées des institutions dispensatrices. Ces dernières utilisent alors ces ressources pour la formation des étudiants en ayant recours à des tuteurs pour le « service pédagogique » à la clientèle. Ainsi, dans les institutions éducatives « de masse » les tuteurs sont appelés à remplacer les profs traditionnels, à la fois transmetteurs de connaissances et pédagogues. Cette mise de l’avant de la fonction tutorale dans ta proposition « d’ingénierie tutorale » est sans doute prémonitoire. À court terme, ce changement terminologique aura sans doute pour effet de revaloriser la fonction tutorale.

J.R. :
Tu relies avec pertinence la collaboration aux apports de Vygotski qui a avancé les notions de « zone de développement proximal », « d'étayage » et de « des-étayage » et qui plus fondamentalement, dans une certaine parenté avec Joseph Jacotot évoqué par Jacques Rancière dans « Le maître ignorant » propose un socio-constructivisme qui selon ton expression « renforce l'esprit démocratique ». Dans cette perspective, le rôle du tuteur est plus celui d'un animateur, d'un modérateur, d'un garant pour le groupe d'apprenants, qui doit pratiquer l'écoute active et la maïeutique socratique. A ton avis, le travail collectif d'un groupe d'apprenants ne peut-il pas prendre d'autres formes que celle de la collaboration ?


J.L. : Dans une question précédente, j’ai émis des réserves sur les avantages a priori de l’apprentissage collaboratif basé sur la théorie du socioconstructivisme. S’il est certain que dans le domaine scientifique ou dans le domaine professionnel les développements se font par la collaboration entre experts ou professionnels pour résoudre des problèmes contingents, il est moins évident que les apprentissages faits en collaboration dans un groupe, soient plus assurés et rapides que par des méthodes plus traditionnelles telles que l’enseignement magistral ou l’apprentissage expérimental individuel.

J.R. : Des formes où le tuteur jouerait plus le rôle d'un guide voire d'un chef de projet ?

J.L. : Dans cette forme d’activité collective, ne retrouve-t-on pas le modèle de l’instituteur ou de l’enseignant qui sait dynamiser sa classe ?

J.R. : Le raccourci qui fait estimer que toute activité collective est par essence collaborative, n'amène-t-il pas à un cul de sac ?

J.L. : Par définition l’apprentissage en classe est une activité collective. le plus souvent, il n’est pas collaboratif.

J.R. : Dans ton sixième chapitre, tu formules des apports qui me semblent essentiels pour les tuteurs. En particulier, tu précises la notion de feedback et celle d'écoute. Sur cette dernière, tu signales que c'est « l'écoute compréhensive » que le tuteur devrait adopter. Tu l'oppose à celles qui sont « hostile », « condescendante », « partielle », « anxieuse » ou « simulée ». J'ai trouvé là aussi des échos à la réflexion qui m'a amené à distinguer fortement le conseil et la consigne. Tu indiques aussi que le tuteur doit « neutraliser son rôle d'autorité afin de faciliter l'établissement d'un lien de confiance avec les apprenants. » Si je suis en plein accord avec tes propos, je me pose des questions sur les moyens donnés aux tuteurs pour s'investir dans ces démarches. Les institutions sont-elles prêtes à reconnaître ces dimensions de l'activité tutorale ?

J.L. : Les comportements d’écoute et de feedback sont des savoir-être qui, en principe, vont de pair avec la qualité de pédagogue, enseignant ou tuteur. Je ne vois pas en quoi les institutions ont à intervenir.

J.R. :
Comment peuvent-elles quantifier les temps tutoraux qui sont nécessaires à ces comportements ?


J.L. : Tout conseiller-expert en communication sait que si les comportements d’écoute et de feedback engendrent des interactions plus longues, il sait aussi qu’ils en réduisent le nombre et, de ce fait, sont plus productifs. Plus simplement, en regard du temps consacré à un étudiant, il est plus avantageux de prendre le temps nécessaire pour bien comprendre son problème et lui répondre adéquatement, que de lui donner des réponses standardisées et lapidaires qui n’y répondent pas car on n’a pas identifié le vrai problème. Il reviendra alors à plusieurs reprises, ce qui en temps cumulé est plus onéreux. En outre, l’écoute est essentielle à la résolution du problème central du tuteur, évoqué plus haut : comprendre ce que l’étudiant ne comprend pas.

J.R. : Les tuteurs peuvent-ils avoir facilement accès à des formations les préparant à ces attitudes ?

J.L. : Il me semble qu’en sciences de l’éducation il y a des cours ou des séquences de formation qui préparent au développement de ces savoir-être.

J.R. : En l'absence de réponses à ces questions, ne charge-t-on pas un peu plus la barque du tuteur ?

J.L. : Il me semble, au contraire, que si les tuteurs acquièrent et développent ces habiletés leur barque s’en trouvera bien allégée.

J.R. : Finalement, quels sont les moyens à mettre en œuvre pour concrétiser l'idéal affiché ?

J.L. : Prendre des cours en communication interpersonnelle. Dans ce cas seule la modalité « en classe » est efficace !

J.R. : Dans ton septième et dernier chapitre, tu abordes la question de l'encadrement institutionnel. Celui-ci apparaît important et de nature à traduire l'investissement de l'institution dans une réelle démarche d'encadrement. De nombreux services sont amenés à apporter des informations et des services aux apprenants. Pourtant, tu constates un certain déficit de « culture organisationnelle » en lien avec l'encadrement. A certains égard, ne penses-tu pas que l'on puisse établir un parallèle avec la démarche qualité ?

J.L. : Oui ! Tout à fait ! Mais la démarche qualité devrait s’appliquer d’abord aux formations offertes, aux designs pédagogiques impliquant la qualité de produits (diplômés) que l’on souhaite obtenir au bout de la chaîne. Quelle révolution chez les pédagogues, tous enseignants et tuteurs confondus !

J.R. :
Imaginons une organisation qui souhaite améliorer la qualité de son accueil. Ce n'est pas uniquement le personnel d'accueil qui sera impacté par les changements envisagés mais aussi les autres intervenants. Par exemple, le fournisseur de fleurs qui veillera à ce que les bouquets soient toujours frais, le responsable de la machine à café pour que celle-ci soit toujours alimentée, les personnes qui reçoivent les visiteurs qui veilleront à mettre leur téléphone sur messagerie le temps de l'entretien, etc. De même pour l'encadrement, ne serait-il pas nécessaire de sensibiliser chaque salarié d'une institution éducative, pour la part qui lui revient, à ce que l'on pourrait nommer le "réflexe tutoral" : être à l'écoute, manifester sa disponibilité, offrir son aide ?


J.L. : C’est la philosophie « service à la clientèle » qui doit être développée dans la culture organisationnelle des institutions éducatives. Compte tenu de la connotation « directive » associée au néologisme « tutoral », comme je le mentionnais en commençant, je ne pense pas que l’expression « réflexe tutoral » soit pertinente.

J.R. : Tu as relevé que les institutions sont de plus en plus sur un marché concurrentiel. Je pense que tu seras d'accord avec moi pour dire que la formation à distance constitue un vecteur de cette mise en concurrence dans la mesure où elle autorise à rejoindre des publics non accessibles selon les formules de formation traditionnelles. Dès lors, le discours promotionnel pèse de plus en plus lourd tant dans la communication que dans les budgets des institutions. Il me semble pour autant qu'il existe comme une sorte de point aveugle dans ces approches marketing et qui concerne précisément l'encadrement. Il y a trois ans, je m'étais amusé à recueillir les mentions commerciales relatives au tutorat sur plusieurs sites d'organismes de formation à distance. Le résultat était assez affligeant puisque à part la très grande disponibilité des tuteurs et leurs hautes compétences, bien peu d'autres arguments étaient développés. Pourtant, ne peut-on considérer qu'une institution qui présenterait son système tutoral répondrait par avance à certaines interrogations de ces éventuels clients ?

J.L. : Comme ancien expert en communication-marketing, je dirais qu’avant de promouvoir une institution par la qualité de son « système tutoral » il faudrait d’abord « faire connaître et comprendre l’expression « système tutoral », car actuellement je ne pense pas qu’elle soit « vendeur » ! Il est toujours préférable de réserver le jargon spécialisé aux agents internes à l’organisation et aux experts, et vulgariser les services offerts sous ce vocable pour répondre aux attentes que les étudiants expriment en termes simples et courants.

J.R. :
L'institution ne montrerait-elle pas ainsi son professionnalisme et la qualité globale de son offre ?


J.L. : J’ai déjà évoqué cet aspect au début de notre entretien. La qualité d’un service reçu sont plus « vendeurs » que la qualité du personnel de l’entreprise qui l’offre. En regard des institutions éducatives, c’est la valeur des diplômes et les conditions facilitantes pour les obtenir qui attirent l’attention des étudiants potentiels.

J.R. : Partant du fait qu'un apprenant satisfait constitue le préalable à sa fidélisation, et que le tutorat a justement pour objectif la réussite de l'apprenant, l'encadrement offert ne peut-il pas devenir un argument marketing ?

J.L. : Entre autres.

J.R. : Enfin, le tutorat doit-il continuer à être perçu seulement comme un coût et ne peut-il devenir un centre de profit pour l'institution ?


J.L. : Pour certains managers des organisations éducatives tout est perçu comme un coût ! Le tutorat n’est ciblé particulièrement. En revanche c’est au niveau des catégories professionnelles que l’image du tutorat peut être celle d’un luxe inutile. Il appartient donc aux tuteurs de faire valoir leur importance dans la grande dynamique éducative.

J.R. : Merci beaucoup Jean pour cet entretien et au plaisir de le poursuivre bientôt de vive voix.


lundi 26 avril 2010

Programme du colloque du REFAD 2010 : Encadrement des étudiants en FAD - pratiques, réflexions et prospective


Déroulement des activités du 7 mai 2010
(Animation : M. Bernard Michaud)

8h - Accueil et inscriptions.

9h - Message de bienvenue de la présidente du REFAD, Mme Caroll-Ann Keating, mot de bienvenue du Directeur général de la Téluq, M. Raymond Duchesne, et conférence d'ouverture présentée par M. Pierre Gagné, Directeur de l’Unité d’enseignement et recherche en éducation de la Téluq : « Encadrer l’apprentissage à distance : êtes-vous mûrs pour ma théorie ? »

10h30 - Pause-santé.

10h45 - Pratiques d’encadrement : Table ronde où des intervenant(e)s présenteront des pratiques et des stratégies d’encadrement gagnantes tout en discutant de leurs préoccupations et des nouvelles avenues qu’ils explorent actuellement.

Participantes :
  • Mme Lucie Pearson (Ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick)
  • Mme Françoise de Pauw (Collège Éducacentre)
  • Mme Marie-France Cyr (Téluq)
  • Mme Valérie Lafontaine (Au nom du Comité de liaison interordres en formation à distance; CLIFAD)
12h - Dîner et courtes présentations des recherches menées par le REFAD en 2009-2010 : Wikis, blogues et web 2.0 : Quel impact pour la FAD ? / Mémoire sur l’encadrement des étudiants dans les formations en ligne offertes aux différents niveaux d’enseignement.

13h30 - Réflexions sur l’encadrement : Débat sur le double rôle que jouent les intervenant(e)s (tuteurs, professeurs, enseignants, chargés d’encadrement, etc.) qui encadrent les étudiants et qui doivent, par ailleurs, évaluer leurs travaux notés et examens. En relation avec la salle, des praticiens de l’encadrement et des étudiants se prononceront.
  • Animation, observations et réflexions de la part de M. Jacques Rodet (Initiateur et animateur de t@d, la communauté de pratiques des tuteurs à distance)
Participant(e)s :
  • M. Christian Côté (Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique)
  • Mme Lise Bégin-Langlois (Université Laval)
  • Mme Chantal Asselin (Doctorante en éducation)
  • Mme Marie-Paule Dandurand (Au nom du Comité de liaison interordres en formation à distance; CLIFAD)
14h45 - Pause santé.

15h - Prospective en encadrement : Courte présentation de Mme Anne-Estelle Bédard (récipiendaire d’une maîtrise en formation à distance de la Télé-université) portant sur les caractéristiques des nouvelles générations d’étudiant(e)s, suivi de discussions en sous-groupes et d’une plénière sur les besoins futurs en encadrement des étudiants à distance.

16h - Pause santé.

16h15 - Assemblée générale annuelle du REFAD suivie d’une remise de certificats d'honneur et d’un cocktail. Quatre certificats d’honneur seront remis à des intervenant(e)s s’étant impliqué(e)s en formation à distance pancanadienne, soit
  • Mme Bettina Brockerhoff-Macdonald (Gestionnaire principale de programmes au sein de l’Université Laurentienne)
  • M. Christian Côté (Directeur de l’École virtuelle du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique)
  • M. Roberto Gauvin (Directeur du Centre d'apprentissage du Haut-Madawaska)
  • Mme Martine Chomienne (Conseillère pédagogique au Cégep@distance)
Un certificat spécial sera également remis à M. Jacques Rodet (Initiateur et animateur de t@d, la communauté de pratiques des tuteurs à distance - France).

Également avec la collaboration de la Téluq, l'université à distance de l'UQAM, l'événement sera aussi diffusé en direct sur Internet.


Renseignements et inscriptions sur le site officiel du Colloque
Le colloque est désormais complet mais il est toujours possible de s'inscrire pour le suivre en webdiffusion sans frais

vendredi 16 avril 2010

Chronique de Philippe Inowlocki : Le tutorat et la FOAD contre la fuite des cerveaux ?


Le 29 mars dernier un article du Monde titrait : « Les réseaux d'échanges de migrants qualifiés se multiplient sur Internet » « Les pays d'origine cherchent à tirer profit de ces « diasporas de la connaissance ».

Tous les pays (Uruguay, Roumanie, Maroc, Liban..) qui connaissent un exode massif de leurs diplômés souhaiteraient tirer profit de la fuite des cerveaux plutôt que la subir.

« Ceux d'Asie représentent la moitié du total contre près d'un tiers pour l'Afrique et un peu moins d'un quart pour l'Amérique latine », Jean-Baptiste Meyer, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement IRD (Institut de Recherche et de Développement). », décrivant le nombre de diplômés qui partent travailler à l’étranger.

Se pose ainsi pour ces pays, les questions de la lutte contre la fuite des cerveaux, où du moins comment prendre acte de cette fuite de jeunes professionnels qui vont exercer au Etats-Unis, au Canada, en Allemagne ou en France dans des entreprises ou des organismes de recherche.

Comment ? En créant des réseaux d’experts de collaboration, de recherche et de développement soutenus par les Etats pour favoriser les programmes industriel, technologique et éducatif en partenariats.

Des Etats comme la Roumanie, l’Argentine et l’Uruguay, pays possédant une forte diaspora de leurs jeunes professionnels diplômés mettent en œuvre des stratégies de développement économiques qui intègrent explicitement une dimension transnationale visant à impliquer leur communauté nationale installée à l’étranger.

Un programme européen coordonné par l'IRD a été lancé avec des ministères colombiens, d'Uruguay et d'Argentine. Outre "un dénombrement général et détaillé des populations qualifiées" il vise à valider des méthodes aptes à démultiplier ces réseaux en créant des "incubateurs de diasporas des savoirs" ou e-diaspora..

La chercheuse Dana Diminescu définit le concept de « e-diaspora » de la façon suivante : « C’est le terme que nous avons choisi pour évoquer les communautés migrantes agissantes à travers différents médias électroniques et particulièrement dans les web. Il s’agit des pratiques qui sont celles des communautés interagissant plus par des échanges documentaires qu’en face-à-face. »

La formation à distance concerne les migrants, cette affirmation entre
étonnamment en contradiction avec un certain nombre de représentations sur la figure du migrant, homme déraciné, sans ressources éducatives et matérielles pour s’intégrer dans la société industrielle contemporaine de la connaissance.

Dans son ouvrage issu de sa thèse Mihaela Nedelcu (2009) propose un nouveau paradigme de recherche sur les migrations où les flux de populations et les changements sociaux prédominent sur les ancrages identitaires :

« Le migrant On line n’est en aucun cas un déraciné qui se (ré) inventerait dans des mondes virtuels afin d’échapper au démantèlement identitaire. Tout au contraire, il incarne l’acteur post-moderne des mondes « glocaux », [à la fois globaux et locaux] tout emprunt de contrastes, dans lesquels se chevauchent, héritages, particularismes et vocations universelles » P.115.

En Europe, la tendance est plutôt à la dissuasion des migrations traditionnelles de travail et des familles, les circulations des migrants hautement qualifiés sont de plus en plus encouragés par des programmes d’Etat. Par exemple, les informaticiens, les ingénieurs, les cadres les scientifiques et le personnel infirmier obtiennent un titre de travail avec plus de facilités.

En France, aussi l’introduction de la carte de séjour « compétences et talents » institués par la loi du 24 juillet 2006 témoigne d’un changement radical d’attitude quant à la migration des jeunes diplômés étrangers en France. La France met en place un système analogue aux pays d’immigration comme le Canada, les Etats-Unis et l’Australie fondé sur la compétence.

Les technologies de l’information et de la communication ont été investies à chaque époque par les migrants pour des raisons vitales, l’échange de correspondances des paysans polonais, les messages vocaux enregistrés sur des magnétophones à cassettes des travailleurs africains et maghrébins des années 70 à destination de leurs familles.

Le téléphone -hier- et les outils de mobilité aujourd’hui jouent un rôle d’une importance considérable pour les migrants dont les enjeux dépassent de très loin la confortable curiosité des passionnés de technologies.

Internet et les migrants

« Pour les migrants Internet assure de nombreuses fonctions identitaires et psychologiques, à mettre en relation avec autant des fonctions didactiques d’un environnement numérique de formation comme les campus de formation en ligne et les portails pédagogiques personnels, je cite quelques extraits du livre de Mihaela Nedelcu (2009) :

  1. c’est un outil d’innovation sociale, qui leur permet de s’affranchir des limites physiques de l’action. Internet est devenu un espace social transnational intermédiaire ;
  2. il peut s’acclimater plus rapidement à son futur pays d’accueil en s’appropriant à distance sa géographie, ses politiques et sa réalité sociale ;
  3. se réinventer une identité en entremêlant des significations culturelles héritées de ses parcours migratoires (réels ou imaginaires) ;
  4. se mettre en scène tout en intégrant les spécificités locales, nationales et universelles de ses appartenances ;
  5. domestiquer les distances en continuant de vivre en prise avec son pays d’origine ;
  6. actualiser et adopter une position critique vis-à-vis de son héritage ancestral ;
  7. éviter l’exclusion sociale et surmonter les contraintes structurelles dans les pays d’accueil en accédant à des ressources sociales, en circulant dans les e-réseaux de ses compatriotes ;
  8. faire valoir ses compétences professionnelles et sociales en participant à la production d’une expertise migratoire et communautaire collective ;
  9. s’identifier à une origine partagée, en initiant ou activant des projets communautaires mis sur pied à l’échelle locale.

« Internet est non seulement un lieu d’information, d’échange et de savoirs mais également un territoire de luttes, de reconnaissance et d’actions sociales. »


Les migrants investissent les outils de communication car ils viennent répondre à des besoins sociaux, professionnels et affectifs.

Ils en inventent des usages, détournent des fonctions prévues des outils et stimulent l’offre du marché des nouveaux services en ligne (transfert d’argent, stockage de données, réseaux sociaux..).

La sociologue Dana Diminescu parle de « corridors numériques » pour décrire les usages d’ubiquité et les nouveaux services qui se mettent en place. Des familles, des couples envisagent la migration en y intégrant dès le début du projet les possibilités de « co-présence » que rendent possible les TIC.


Les dispositifs de formation


Le CIEP en France (Centre international d’étude pédagogique) anime un dispositif de formation d’ingénieurs pédagogiques en cinq jours pour répondre aux obligations légales de formation linguistiques et culturelles des candidats au regroupement familial. Le respect de cette mesure est assuré dans les pays de résidence et en France à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

En juin 2009 au Puy en Velay dans le cadre du dispositif WIKIM en collaboration avec le Programme Tic et migrations de la Maison des Sciences de l’Homme, a eu lieu une journée d’étude sur le Migrant connecté qui a permis d’identifier un certain nombre d’initiatives de formation à distances tutorées.

Wikim a pour objectif d’améliorer la cohésion sociale par l’insertion sociale et professionnelle des personnes issues de l’immigration dans cinq pays, la France, l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique et la Suisse en adaptant leurs formations linguistiques. La démarche est intéressante car elle vise à ce que les utilisateurs finaux, immigrés et intermédiaires (formateurs-accompagnateurs) qui créent le contenu et le font évoluer. (cf. témoignages vidéos des formateurs-accompagnateurs).

Le Greta du Puy en Velay avait été l’acteur français pour la rédaction de la Charte pour l'inclusion numérique et sociale pour mettre en place un environnement d'e-learning socialement inclusif.


Conclusions en matière de formation au tutorat pour la formation à distance


Dispositifs collaboratifs transnationaux pour l’innovation, dispositifs de formation pour préparer les migrations familiales ou professionnelles, dispositifs de mentorat pour faciliter l’intégration culturelle et linguistique. Autant d’espaces de développement personnel et communautaire, articulant institutions concrètes, associations à but non lucratif et ressources numériques de documentation et de formation.

Cet ensemble justifierait de concevoir et de mettre en œuvre des systèmes pérennes à grande échelle qui favorisent la diffusion de la « culture du tutorat » et de l’accompagnement au sens large (formation de formateurs, formation à l’animation de dispositifs de recherches et développement), en formation ouverte et à distance mais aussi au travers de coopérations académiques et disciplinaires transnationales nécessitant des médiations à distance, mobilisant de manière étendue les possibilités des espaces sociaux numériques pour faire vivre les idées ici et là-bas.


Références


http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/03/29/les-reseaux-d-echanges-de-migrants-qualifies-se-multiplient-sur-internet_1325759_3244.html

La journée d’étude sur le thème des migrants connectés avec podcasts et supports de présentation
http://wikim.eu/journee-detude-migrants-connectes/

L’offre du CIEP en matière de formation de concepteurs pédagogiques pour la formation des étrangers candidats au regroupement familial vers la France : http://www.ciep.fr/formations/elaborer-une-offre-de-cours-candidats-immigration-familiale-vers-la-france.php

Mihaela Nedelcu , Le migrant online, Nouveaux modèles migratoires à l'ère du numérique, octobre 2009
http://ticmigrations.fr/fr/rester-informe/231-qle-migrant-onlineq-de-mihaela-nedelcu

Maroc Entrepreneurs http://www.marocentrepreneurs.com/ est une association à but non lucratif loi 1901 créée en 1999, qui a pour vocation de contribuer au développement économique du Maroc à travers trois principaux leviers, encourager les marocains à l'étranger ou des personnes fortement attachées au Maroc à créer leur entreprise au Maroc, faire découvrir l'univers de la création d'entreprise et l'actualité socio-économique du Maroc, établir une synergie entre les entreprises basées au Maroc et les compétences marocaines à l'étranger

Le site WIKIM géré par les migrants et les formateurs http://wiki.wikim.eu/

La carte de séjour « compétences et talents » décrite par l’ambassade de France en Tunisie : http://www.ambassadefrance-tn.org/france_tunisie/spip.php?article545


Illustration en contexte: http://ticmigrations.fr/fr/outils/nos-outils?view=item&cid=1&id=1