lundi 30 mai 2016

Paradigme du soignant dans le tutorat à distance, par Elsa Steil



« Les uns comme les autres ne doivent jamais oublier que toute écoute, toute parole, tout silence, tout geste, tout acte, aussi technique qu’il puisse être, doit toujours s’inscrire dans un processus gouverné par le care, l’attention à l’autre, le prendre soin de la personne qui s’est remise entre leurs mains, qui leur a fait confiance au point de s’en remettre à leurs soins. » 

Jean-Pierre Lehmann



Lorsqu’un formateur en santé, lui-même issu du monde de la santé, occupe les fonctions de concepteur de formation digitale, puis tuteur digital, se pose inévitablement la question du « Prendre soin ». Le « Take care » qui se distingue sans s'y opposer au « To cure » qui signifie soigner.

Question d’autant plus prégnante que ce tuteur novice, en l’occurrence l’auteur de ce billet, se nourrit des apports du diplôme universitaire COFORDI ainsi que de la pédagogie d’Emmi Pikler, pédiatre hongroise qui, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, a créé un orphelinat à Budapest, haut lieu d'humanité, véritable école de civilisation. Les grands axes de sa pédagogie reposent sur l'observation, la référence, les repères, la recherche de sécurité, l'engagement, la confiance, le « faire avec », la fiabilité.

Qu’en est-il du « prendre soin » des apprenants engagés dans une formation à distance lors du tutorat digital ?

Il n’y a pas de problème à traduire le mot care par l’expression prendre soin, si l’on évite de faire du prendre soin l’exclusivité des soignants. La description du prendre soin par les soignants et sa portée éthique sont très proches des théories et des pratiques du care.

Dans la langue française, le mot soin désigne la préoccupation et le souci pour autrui. Care met l’accent sur l’attention portée à l’Autre et sur l’intérêt porté à cette personne. Il engage notre responsabilité. « Prendre soin » de l'Autre est donc bien une notion particulière et néanmoins indispensable de par l'engagement qu'elle présuppose, la confiance, la rigueur, l'attention à la relation, l'offre d'une grande lisibilité des objectifs à atteindre, conjuguée à une prestation de qualité, comportant une multitude de petits gestes invisibles.

Tous ces aspects du soin se déclinent et se transposent aux missions du tuteur dans un dispositif de formation digitale : l’apprenant, comme la personne soignée étant au cœur du dispositif, centre de tous les regards et attentions.

La dimension humaine, paradigme fondateur de la relation tutorale, qu’elle soit à distance ou en présentiel se révèle non seulement possible, mais surtout essentielle. En écho aux différentes fonctions tutorales décrites par Jacques Rodet (plan cognitif, plan motivationnel, plan socio-affectif et plan métacognitif), prendre soin d’un groupe d’apprenants constitue le savoir-être du tuteur à distance.

Les soignants ont bien acquis l’expérience qu’il ne suffit pas d’être là passivement. Il faut également savoir – d’un savoir puisé à l’intérieur de soi – aller à la rencontre de l’Autre, de telle sorte que se réalise réellement une rencontre entre deux personnes.

Le champ d'investigation est large, le tutorat digital en santé (et sans nul doute, dans toutes les disciplines) trouve sa cohérence dans cette nécessité à transmettre, transmettre des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être dans les actes du « prendre soin » à l'aide d'outils de formation permettant de multiples expressions.

Sur ce volet infini de l’accompagnement, s’il y a bien une dimension du « prendre soin », transposable sans ambiguïté au tutorat digital, il est ici : être distinct, sans être distant.

Elsa Steil, formatrice santé FOAD

lundi 23 mai 2016

Places et mobilité des tuteurs dans un digital learning

Le tuteur à distance est un accompagnateur, c’est-à-dire qu’il va avec l’apprenant. Lors de ce cheminement, le tuteur peut se placer de différentes manières par rapport à l’apprenant, à côté, à distance, devant, derrière, au-dessus, au-dessous. Durant son accompagnement, et en fonction des besoins de l’apprenant, ses places relatives à celles des apprenants varient.

Dans ce billet, j’explore ces différentes positions et tente d’en cerner les significations et la manière dont elles renseignent sur la relation tutorale. Cette dernière suppose une dualité (tuteur-apprenant ou tuteur-groupe d’apprenants) où chacun des acteurs reconnait l’autre et accepte d'interargir avec lui. Si pour le tuteur, cette acceptation est assimilable à celle de sa fonction professionnelle, il est rémunéré (pas toujours), pour tutorer les apprenants, elle n’exclut pas l’investissement et même le don. Pour les apprenants, l’acceptation du tuteur se manifeste tout d’abord par la reconnaissance de ses rôles et l’engagement dans la relation d’aide.


A côté

« Etre à côté » c’est être à proximité. L’expression renvoie fortement à la situation présentielle. Pour autant, il serait inexact de considérer qu’il ne peut y avoir proximité que lorsque l’accompagnant et l’accompagné se sont spatialement rejoints. Le digital learning par l’hybridation des situations de communication et d’interaction qu’il propose multiplie les lieux de co-présence. Celle-ci se décline selon des modalités différentes, synchrone et asynchrone.

Selon Jacquinot (cf. Apprivoiser la distance et supprimer l'absence ? ou les défis de la formation à distance) les distances sont spatiale, temporelle, technologique, sociale, culturelle et économique. « Etre à côté » de l’apprenant suppose donc que ces distances soient amoindries, abolies, tant par les interventions proactives que réactives que le tuteur entreprend envers les apprenants.

De leur côté, Brassard et Teutsch décomposent le concept de proximité en six composantes : spatiale, organisationnelle, relationnelle, technologique, cognitive et systémique. Pour chacune de ces composantes, ils indiquent comment le dispositif peut faciliter la proximité en termes d’ingénierie (articulation présentiel et distanciel), d’accompagnement humain, de médiatisation, de médiation et d’ouverture (cf. Proposition de critères de proximité pour l’analyse des dispositifs de formation médiatisée).

Pour ma part, je trouve nécessaire d’envisager la notion de proximité dans un digital learning à partir de l’apprenant. Est-il proche de lui-même ? De ses pairs ? De son ou ses tuteurs ? Des concepteurs ? De l’institution ? Du contenu ? Du savoir ? (cf. De la proximité en formation à distance).

Il ressort que « être à côté », dans un digital learning, peut prendre des formes extrêmement variées, que la co-présence se manifeste dans la relation, les liens établis, l’abolition des distances qui séparent. Mais c’est aussi parce que les distances existent que la nécessité de rapprochement se fait jour, qu’elles sont des déclencheurs et des opportunités d’être à côté. « Etre à côté » ne peut donc être défini séparément de « Etre à distance ».

A distance

Etre à distance de l’apprenant pour un tuteur signifie être en retrait. Il ne s’agit pas, pour lui, d’être inaccessible mais de ménager suffisamment de distance pour permettre aux apprenants d’exercer leur autonomie, but ultime de la relation tutorale.

La métaphore bien connue du colibri, qui par son vol stationnaire est capable d’ajuster la distance qui le sépare du pistil de la fleur dont il récupère le suc sans toucher les pétales, illustre partiellement la posture du tuteur à distance. Etre assez proche pour agir en soutien mais ne pas agir à la place de l’apprenant. En faire assez pour apporter le soutien nécessaire mais pas trop pour ne pas être intrusif.

Etre à distance, c’est savoir prendre le recul nécessaire face aux situations et aux sollicitations des apprenants pour pouvoir les gérer en mobilisant toutes les compétences nécessaires à la pratique tutorale. Parmi elles, l’empathie, aptitude à la compréhension profonde des états affectifs et cognitifs des apprenants mais également «attitude et comportement excluant une adhésion quelconque aux émotions exprimées par un tiers, à ne pas exprimer d'interprétation et donc, globalement, à ne pas s'identifier à l'autre : ne pas prendre pour soi ce qui n'est pas soi » est certainement une des plus essentielle (cf. notice Wikipedia). Elle est d’autant plus importante pour le tuteur que celui-ci n’a généralement pas de formation en psychologie sur laquelle s’appuyer pour faire face aux événements extérieurs à la formation qui pourtant rejaillissent sur les parcours des apprenants (maladie, perte de travail, deuil, etc.).

Etre à distance, c’est aussi savoir prendre du recul, s’exercer à la réflexivité sur ses pratiques tutorales afin de les questionner, de les ajuster et de les améliorer.

Devant-dessus

Le tuteur qui se place devant et au-dessus de l’apprenant endosse le rôle de guide. Il montre le chemin et comment l’emprunter en le parcourant devant l’apprenant, en lui évitant les pièges, lui indiquant les raccourcis. Il agit de manière préventive et use de la proactivité de manière préférentielle. De fait, s’il apporte une aide réelle à l’apprenant, il balise fortement le parcours d’apprentissage. Il étaye plus qu’il ne désétaye, ce qui favorise peu l’autonomie de l’apprenant. Cette place tutorale est plus utile pour les apprenants que Viviane Glikman qualifient de « Désarmés » qui ont des difficultés à formuler leurs questions et hésitent à demander de l’aide (cf. « Quels modèles d’exercice de la fonction tutorale à distance pour quels types d’apprenants ? »).

Derrière-dessus

Lorsque le tuteur se situe au-dessus et derrière l’apprenant, il fournit à l’apprenant des modèles à suivre. C'est notamment pour fournir du soutien méthodologique que le tuteur adopte cette position. Là encore, il intervient prioritairement de manière proactive. Ce positionnement est davantage adapté pour les « Hésitants » (Glikman, ibid) qui ont du mal ou ne souhaitent pas réellement s’impliquer dans leur formation. Il s’agit pour le tuteur de susciter leur engagement dans la formation, en particulier en leur apportant de l’aide tant sur la gestion et la planification de leur apprentissage que sur la manière de réaliser leurs activités et travaux. Le but est de permettre aux apprenants de modifier la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes comme apprenants et de renforcer l’estime qu’ils ont de leur compétence à être apprenant.

Devant-dessous

Le tuteur qui est devant et dessous l’apprenant use de la proactivité pour manifester sa disponibilité mais agit avant tout comme conseil de manière réactive. C’est donc suite aux sollicitations des apprenants qu’il leur présente différentes options en les laissant choisir celle qui leur convient. C’est tout d’abord pour les « Déterminés » (Glikman, ibid) que le tuteur investit cette place. Ces apprenants se distinguent par leur ferme intention d’atteindre leurs objectifs de formation et par leur adhésion au dispositif. Ils considèrent le tuteur comme une personne-ressource qui est mobilisable en cas de besoin.


Derrière-dessous

La place derrière-dessous est celle qui est la plus distante de l’apprenant. Elle convient donc principalement aux « Marginaux » (Glikman, ibid) qui se caractérisent par leur capacité à exercer leur autonomie et la réserve qu’ils manifestent vis-à-vis des dispositifs formels de formation et des institutions qui les portent. Or, les tuteurs sont bien des représentants de celles-ci. Ainsi, les « Marginaux » peu sensibles, voire irrités par les interventions tutorales proactives, imposent au tuteur de procéder de manière réactive.



Il est à noter que le tuteur, tout au long de son accompagnement, est amené à changer de place par rapport aux apprenants. Tout comme les types d’apprenants de Glikman ne doivent pas amener le tuteur à enfermer les apprenants dans un type donné, le tuteur à distance ne doit pas être immobile mais bien au contraire se positionner en fonction des apprenants, là où ils sont à un moment donné, pour leur apporter le soutien voulu et/ou nécessaire. (cf. « A propos des modèles d'exercice des fonctions tutorales de Viviane Glikman. Pour des systèmes tutoraux diversifiés » ).

La faiblesse de l’organisation du tutorat, dans certains digital learning, et dans de très nombreux moocs, est précisément justifiée par l’enfermement des apprenants, désignés autonomes, dans le type des « Marginaux ». Elle est aussi le révélateur d’une incapacité ou d’une non volonté des institutions et des tuteurs, renommés coachs, animateurs ou community managers, à prendre en compte les réels besoins de soutien des apprenants à distance.

A mon sens, rien n’est plus utile au tuteur que la mobilité qui seule lui permet de parcourir les distances qui le séparent des apprenants. Pour trouver sa juste place, à un instant donné, pour tel apprenant ou tel groupe d’apprenants, le tuteur doit encore et encore répondre à cette double question : est-ce que j’en fais assez ? Est-ce que je n’en fais pas trop ?


lundi 2 mai 2016

Les qualités des tuteurs à distance reconnues par des apprenants

Dans un article assez récent « Pratiques tutorales et attentes des apprenants dans une FOAD », Mirisoa Rakotomalala et Lova Zarariasy rendent compte des résultats d’un certain nombre d’enquêtes réalisées auprès d’apprenants de deux dispositifs offerts à Madagascar.

Dans ce bref billet, je m’intéresse plus particulièrement aux représentations des apprenants sur les qualités des tuteurs à distance. 44 apprenants se sont exprimés sur ce sujet et les auteurs en ont tiré un tableau en classant les qualificatifs par nombre d’occurrences.



Ces différentes occurrences peuvent être, selon moi, classées en trois catégories



Les qualités relationnelles sont essentiellement relatives au savoir-être du tuteur à distance (cf. "Le savoir-être du tuteur à distance").

Les qualités de présence renvoient à la disponibilité des tuteurs et à leur capacité à réagir aux sollicitations des apprenants. Il pourrait être aussi classé ici les interventions proactives des tuteurs mais celles-ci n’ont pas fait l’objet d’expression des apprenants qui ont répondu à l’enquête. Sur la perception des interventions réactives, cf. billet "Enquête sur la perception des apprenants sur les interventions tutorales réactives quasi instantanées".

Les qualités de pédagogue regroupent des items relatifs au savoir-faire d’un formateur ou d’un enseignant essentiellement en matière de remédiation.

Cette enquête confirme que les qualités premières d’un tuteur à distance ne relèvent pas de sa maîtrise du contenu de la formation. Une nouvelle fois, la disponibilité du tuteur est consacrée comme qualité première. Le savoir-être du tuteur, sa manière d’entrer dans la relation tutorale et de la faire vivre est essentielle aux yeux des apprenants.