lundi 6 juin 2016

Entretien avec Marcelle Parr : le site Vers de bonnes pratiques en tutorat à distance de la SOFAD


Marcelle Parr est Conseillère en recherche et développement à la SOFAD. Ses fonctions l'amènent à s'intéresser au design pédagogique, l'apprentissage autonome, le tutorat à distance, le développement organisationnel, les partenariats éducatifs, le développement de la formation à distance. Elle a participé à la conception du site Vers de bonnes pratiques en tutorat à distance de la SOFAD



Jacques Rodet : Bonjour Marcelle, nous allons échanger sur le dispositif dédié au tutorat à distance dans lequel tu t'es impliquée ces derniers mois. Il a été porté par la SOFAD. Peux-tu nous présenter cette organisation ?

Marcelle Parr : La SOFAD est un organisme a but non lucratif dont la mission comporte deux volets : produire du matériel d’apprentissage pour la formation à distance et offrir des services et une expertise en formation à distance dans le réseau de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle au Québec. La SOFAD offre également des produits et des services sur mesure aux différents ministères, associations, regroupements sectoriels, ordres professionnels et tout autre organisme dispensateur de formation au Québec.

Partenaire majeur du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, des commissions scolaires (CS) et des acteurs socio-économiques, la SOFAD exerce un rôle de premier plan dans le développement de la formation à distance au Québec.

Ce qui caractérise la SOFAD, c’est son statut d’organisme à but non lucratif. En effet, à la différence de la TÉLUQ par exemple, que tu connais bien pour l’avoir fréquentée à distance, ou encore au Cegep à distance, deux maisons d’enseignement dédiées à la formation à distance au Québec, la SOFAD n’est pas une institution d’enseignement et n’accueille pas de clientèle, cette fonction étant décentralisée à chaque CS. La SOFAD agit plutôt comme un organisme expert en formation à distance, dans la production de matériel d’apprentissage et la diffusion de services.

Jacques Rodet : Quel était ton rôle dans ce projet ?

Marcelle Parr : Actuellement, sur les 72 commissions scolaires existantes au Québec, une cinquantaine d’entre elles exercent des activités de formation à distance, à la formation générale des adultes (FGA) et à la formation professionnelle (FP). Chaque commission scolaire est autonome dans le choix de ses pratiques de formation à distance.

Chaque année, la SOFAD convie les CS à une journée d’échanges sur la formation à distance, et j’ai eu l’occasion d’y présenter un atelier sur le tutorat à distance. Les discussions qui ont suivi ont mis en évidence une grande diversité de pratiques entre les établissements, et fait émerger un important besoin de soutien dans l’organisation des activités de tutorat et la mise en place des services de formation à distance des CS. Mon premier rôle a donc été de contribuer à faire émerger le besoin.

Dans la foulée de cette rencontre, j’ai formé deux comités de travail avec le mandat de développer un outil de perfectionnement sur le tutorat à distance qui viserait les tuteurs à distance et l’ensemble des acteurs de la FAD des établissements. J’ai piloté le travail de ces comités dans le cadre d’un processus de production collaboratif entre le milieu scolaire et la SOFAD : identification des thématiques et des contenus de formation, design, conception, production, diffusion et soutien à l’appropriation.



Jacques Rodet : Quels étaient les objectifs visés par le projet ?

Marcelle Parr : Le projet visait des objectifs assez larges. D’abord soutenir et outiller les pratiques de tutorat à distance de l’ensemble des commissions scolaires du Québec, autant celles déjà actives en formation à distance que celles qui comptaient s’y engager. Il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour se rendre compte que le besoin ne concernait pas uniquement le tutorat à distance mais bien toute l’ingénierie de la formation à distance.

En effet, les partenaires souhaitaient que les contenus de formation touchent l’ensemble des fonctions à exercer en tutorat à distance et, par conséquent, toutes les catégories de personnel : tuteurs, enseignants, conseillers, personnel administratif, de soutien technologique et personnel de direction, pour camper une vision systémique de la FAD, tout en se donnant comme angle d’approche le tuteur et l’encadrement.

En outre, les représentants des CS souhaitaient que l’outil soit développé au format numérique, afin de valoriser l’utilisation de ce medium. On voulait aussi que le matériel vise une utilisation tant individuelle que collective, dans ce dernier cas pour soutenir son usage dans le cadre d’activités institutionnelles de perfectionnement. Le matériel devait offrir une navigation libre, pour que les utilisateurs y circulent en fonction de leurs intérêts et de leurs besoins de perfectionnement.

De plus, le contenu du cours devait convenir à une variété de situations éducatives : FGA et FP, établissements déjà en FAD et nouveaux venus, fort volume de clientèle ou clientèle en devenir, environnement urbain ou en région, et bien d’autres.

Enfin, il fallait compter sur le fait que les CS sont maîtres de leurs choix en matière de développement pédagogique, organisationnel, administratif ou de gestion. Le matériel à produire ne devait donc pas dicter des façons de faire mais bien proposer des concepts, des outils, des ressources, offrir des conseils et des approches sur l’implantation d’un dispositif de FAD, dont chaque établissement pourrait s’inspirer pour les réinvestir en fonction des réalités de son milieu.

Les défis de design étaient donc de taille !

Jacques Rodet : Quelles ont été les principales actions réalisées ? Selon quelle méthode ?

Marcelle Parr : Comme mentionné, le site Vers de bonnes pratiques en tutorat à distance est le résultat d’un travail collaboratif entre les praticiens en formation à distance du réseau des CS et les experts en conception technopédagogique de la SOFAD.

Dans un premier temps, un comité d’orientation s’est constitué afin d’établir les cadres du partenariat et les contributions souhaitées. Une fois ce pré-projet réalisé, les partenaires ont pu déterminer les grands axes du projet : produire un outil numérique interactif et convivial qui rejoigne l’ensemble des acteurs impliqués en FAD, prenant appui sur de solides fondements théoriques et visant une gestion du changement.

Dans sa foulée, un comité de conception, composé de praticiens des établissements partenaires, a contribué à préciser les contenus et à concevoir le matériel. Tout en offrant leur expertise, cette contribution leur aura permis de mesurer la complexité de la production d’un matériel d’apprentissage autoportant et de s’y former.

Une fois les étapes de planification réalisées, la SOFAD a pris une part plus importante en ce qui a trait à la production du site. Après avoir soumis un prototype à la validation et apporté les ajustements nécessaires, nous avons poursuivi la production du matériel, chaque étape recueillant les avis et les commentaires des partenaires et faisant l’objet d’ajustements. Ces phases d’évaluation en cascades ont rendu le processus plus agile et ont permis de tirer le meilleur parti des expertises.

Un des enjeux de ce projet résidait dans l’autonomie des établissements et le fait qu’il fallait soutenir les pratiques sans toutefois les dicter. Pour ce faire, je me suis inspirée d’une matrice connue des amateurs du Blog de t@d, « Les interventions des tuteurs à distance selon les fonctions tutorales et les plans de support à l’apprentissage », que j’ai adaptée aux besoins de notre réseau, avec l’aval de son auteur, en ramenant les fonctions tutorales à six et en les croisant avec quatre catégories de stratégies d’apprentissage, pour faire émerger vingt-quatre comportements stratégiques qu’un apprenant devrait adopter pour apprendre et réussir une formation à distance.



Une fois ces comportements établis, nous avons fondé notre approche en soutien aux établissements en proposant un ensemble de structures et d’activités tutorales qu’il leur est possible de déployer pour bien encadrer l’apprentissage à distance.

Le design s’est articulé autour de cette matrice. Un parcours d’apprentissage guide l’utilisateur vers des problèmes à résoudre et des contenus à acquérir sous forme d’interactivités, de réflexions et de rétroactions. Il lui donne aussi l’occasion de réinvestir ses acquis dans sa réalité professionnelle et de produire des bilans. La navigation est libre, pour organiser le parcours en fonction de ses besoins de perfectionnement.

L’intérêt pour ce projet était tel que le partenariat s’est mis en route sans financement dédié et tous les partenaires, y compris la SOFAD, y ont contribué à titre gracieux. Une allocation financière du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec s’est ajoutée en cours de route pour financer le volet technologique du projet.

Plusieurs personnes de la SOFAD ont contribué à ce projet, notamment deux chargées de projets, mesdames Nicole Daigneault et Mélanie Bergeron, que je remercie.

L’approche collaborative dans la production d’un cours réserve sa part d’inconnus et de contraintes, largement compensés par la richesse du produit final. Les partenaires sont fiers du matériel et croient qu’il rencontrera les besoins et les attentes du milieu.

Jacques Rodet : Au final, il a donc été produit un site qui se situe entre un espace d'informations sur le tutorat à distance et un dispositif de formation. Peux-tu nous en présenter la structure générale ?

Marcelle Parr : Le site Vers de bonnes pratiques de tutorat à distance repose sur une métaphore sportive, le parapente. Pour progresser et réussir en FAD, l’apprenant doit apprendre à s’élancer, à contrôler son vol et à se poser avec succès. L’utilisateur constatera qu’en plus du rôle d’expert disciplinaire, le tuteur à distance agit comme un instructeur de vol, pour aider les apprenants à se maintenir en altitude !

Le cours se découpe en six mises en contexte qui, tu l’auras deviné, reposent sur les six fonctions tutorales retenues dans notre modèle : les fonctions d’accueil et d’orientation, organisationnelle, pédagogique, technologique, relationnelle et évaluative.

Chaque mise en contexte débute par une question inductive qui amène l’utilisateur à se questionner, à utiliser son expérience et à activer son apprentissage. En naviguant dans chacune, l’utilisateur explore, classe, associe, réordonne des concepts, répond à des questions et sauvegarde certaines données afin de les réutiliser dans un bilan réflexif. Le design à plat invite à la navigation libre, afin d’offrir une expérience conviviale et non contraignante, d’autant qu’il s’agit d’une situation de perfectionnement.

Un tutoriel de navigation permet une première exploration du site. Un plan de vol, sorte de tables des matières, aide à se repérer dans le cours. Un carnet de vol permet de consigner ses notes pour usage ultérieur. Une médiathèque propose des ressources, des outils et des références à consulter pour aller plus loin.

Jacques Rodet : Le parcours de formation est riche mais curieusement les utilisateurs ne bénéficient pas de services tutoraux. Pourquoi ?

Marcelle Parr : Bien qu’une des orientations de départ soit de faire vire aux utilisateurs une expérience d’apprenant à distance, nous avons pris la décision de ne pas imposer cette mesure dans le cours puisque chaque établissement gère ses modalités de perfectionnement. Il n’y a donc pas d’endroit ni d’activités spécifiques dans le cours qui prescrivent ou requièrent l’intervention, la rétroaction ou l’évaluation par un tuteur à distance.

Il revient à chaque établissement de piloter l’appropriation du matériel avec l’aide de conseillers pédagogiques qui agiront comme ressource de proximité. De plus, à certains endroits stratégiques du cours, une rubrique « Dans ma réalité » amène les utilisateurs à réfléchir aux façons de s’approprier, d’intégrer et de transférer certains concepts du cours aux réalités de leurs propres milieux.

Jacques Rodet : Merci pour ces précisions. Je comprends donc que ce sont plutôt les institutions qui se saisiront de ce site pour l'intégrer dans leurs dispositifs de formation qui se chargeront de mettre en place le tutorat de leurs propres utilisateurs. Est-ce la seule forme d’encadrement prévu?

Marcelle Parr : Il nous fallait tout de même prêcher un peu par l’exemple ! C’est ainsi qu’outre l’encadrement local assuré par les établissements, tout utilisateur pourra compter sur une équipe de tuteurs experts qui apporteront un soutien ponctuel à distance.

Ces « tuteurs TAD » sont des membres du comité de conception libérés par leur établissement pour continuer de s’impliquer dans le projet en offrant une contribution de quelques heures de tutorat. Il ne faut pas oublier qu’aucune forme de rémunération n’est prévue pour ces tuteurs TAD. Mais les apprentissages réalisés par les partenaires dans le cadre du projet les motivent à poursuivre leur collaboration.

De plus, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur offrira un support à l’appropriation du site grâce à la contribution des responsables du soutien pédagogique et des conseillers du réseau pour le développement des compétences des élèves par l’intégration des technologies, deux groupes d’une quinzaine de personnes qui recevront une formation sur l’utilisation du site et agiront comme agents multiplicateurs.

Jacques Rodet : Cette initiative qui a un contexte de départ spécifique, la SOFAD, me semble de nature à intéresser plus largement d'autres acteurs. Est-ce que des partenariats avec d'autres institutions, y compris à l'international, sont envisagés ?

Marcelle Parr : Bien sûr ! Je te ramène à nos défis de design : pour que le matériel d’apprentissage puisse convenir aux réalités de l’ensemble des CS du Québec et que chacune puisse s’y reconnaître, il aura fallu se positionner dans une approche globale des concepts de l’encadrement à distance, tout en apportant des solutions concrètes et appliquées.

Pour avoir présenté le site sur de nombreuses tribunes en 2015 et 2016, je peux te confirmer qu’il est très bien reçu, non seulement dans notre réseau mais également à l’enseignement collégial et universitaire, ou même en milieu de travail.

Bien que le site ait été développé aux couleurs de notre réseau, tout organisme œuvrant en FAD pourra s’y retrouver, du moins globalement. Cependant, si un organisme voulait adapter le matériel en profondeur pour l’opérationnaliser dans un contexte spécifique, au local ou à l’international, la SOFAD est ouverte à envisager les partenariats.

Jacques Rodet : As-tu d'autres projets liés au tutorat à distance en gestation ?

Marcelle Parr : Je m’en voudrais de ne pas mentionner qu’à l’issue de ce projet, les partenaires ont souhaité poursuivre leur collaboration, par exemple dans l’organisation d’un colloque sur la FAD et la production de nouveaux outils. De son côté, la SOFAD mettra en place une plateforme collaborative qui servira de lieu d’échanges et de contributions.

Suite à l’implantation, il serait pertinent de documenter les impacts de l’utilisation du site sur la transformation des pratiques et je tente d’intéresser des chercheurs à cet aspect.

Il y a encore beaucoup à faire pour faire reconnaître la formation à distance et détruire certains mythes tenaces, comme le fait que la FAD, ce n’est pas pour tout le monde… Offrir une formation à distance, c’est développer une pédagogie de l’apprentissage. Posons-nous la question : est-ce la formation à distance qui fait défaut ou notre façon d’encadrer la formation à distance ?

Il est temps de sortir la formation à distance de son statut d’approche supplétive et de lui conférer un statut d’approche courante de formation.

Jacques Rodet : Quelle est la question que je ne t’ai pas posée et à la quelle tu aurais aimé répondre ?

Marcelle Parr :Tu aurais pu me demander ce que je pensais de la place que devrait occuper la FAD dans l'offre de services de formation, initiale et continue.

Actuellement et plus que jamais, les modes et les lieux de formation se diversifient. Au Québec, nous assistons à l’émergence d’une utilisation accrue de la formation à distance conjuguée à d’autres modes de formation comme l’alternance travail-études et l’enseignement individualisé, ou encore comme une solution flexible pour la formation manquante suite à une reconnaissance des acquis et des compétences.

Les milieux de travail y recourent de plus en plus, qu’il s’agisse d’optimiser les activités d’apprentissage sur les lieux de travail ou de prendre le virage de l’industrie connectée.

Pour former tout au long de la vie, les mondes de l'éducation et du travail auraient tout avantage à offrir au citoyen apprenant un éventail de services dont la FAD, en plein essor, constitue une filière essentielle qu’il faut apprendre à apprivoiser.

Le site Vers de bonnes pratiques en tutorat à distance est né de ce besoin d’apprivoiser la distance. Et il est offert en accès libre !

Jacques Rodet : Merci beaucoup Marcelle pour le temps que tu as pris pour cet entretien et à bientôt pour les premiers résultats relatifs à l'utilisation du site.

Marcelle Parr : Merci à toi Jacques.

Site : tad.sofad.qc.ca