mercredi 30 mai 2018

Perspectives tutorales aux défis du développement d'une formation en ligne identifiés par Sylvie Ann Hart



Dans un article récent, Sylvie Ann Hart, chercheuse à l’UQAM, liste huit défis relatifs au développement d’une formation en ligne ou à distance. L’objet de ce billet est d’apporter des compléments à la description de certains de ces défis en prenant en compte la dimension tutorale.

Reconnaître que l’enseignement et l’apprentissage sont des activités distinctes

Il est certain que de nombreux concepteurs, se basant sur leur expérience de formateur présentiel, ou de l’idée qu’ils ont de la formation, ont parfois des difficultés à bien distinguer les activités d’enseignement et celles d’apprentissage, ce qui est essentiel en digital learning. Sylvie Ann Hart en donne une définition simple : « Enseigner consiste à mettre de l’information à la disposition des apprenants. Apprendre consiste à travailler cette information, à l’encoder, à la mettre en lien avec les connaissances que l’on a déjà dans l’espoir d’en fabriquer de nouvelles. » Certains concepteurs favorisent exagérément l’enseignement et négligent de laisser du temps pour l’apprentissage. Réduire l’enseignement pour que les apprenants apprennent mieux et plus est un réflexe à avoir. Pour cela, ils pourraient adopter le schéma suivant : 1/3 du temps pour les activités d’enseignement, 1/3 du temps pour les activités d’apprentissage et les évaluations, 1/3 du temps pour le support à l’apprentissage, les remédiations, la mutualisation, la métacognition.

Un premier niveau de soutien aux apprenants dans les activités d’enseignement est relatif à la clarté et à la précision des ressources et de leurs contenus. Il est recommandé au concepteur de se mettre à la place de l’apprenant lorsqu’il scénarise et produit ces ressources. A noter, que des conseils méthodologiques peuvent également se révéler utiles pour favoriser l’exercice de son autonomie par l’apprenant.

Le second niveau concerne le tuteur qui intervient en remédiation auprès des apprenants pour faciliter leur compréhension du contenu, en particulier en répondant à leurs questions. Pour cela, il utilise fréquemment des forums, des FAQ ou des communications synchrones telles que les classes virtuelles.

Dès lors qu’il y a activité d’apprentissage, il faut penser aux interventions tutorales qui sont susceptibles d’apporter un soutien aux apprenants tant méthodologique que socio-affectif ou motivationnel. Il est également utile de prévoir des interventions tutorales amenant à pratiquer la métacognition afin que les apprenants puissent porter un regard réflexif sur leurs pratiques et en tirer un bénéfice pour leurs prochaines activités en développant leurs habiletés d’apprenant.


Faire confiance aux apprenants

Du point de vue de l’ingénierie, faire confiance aux apprenants, nécessite de leur offrir des possibilités de choix et de penser la flexibilité de son dispositif. (cf. Actes du colloque « Flexibilité des apprentissages et du tutorat dans la FOAD et la formation hybride » ACFAS 2014. Revue Tutorales, n°13, juin 2014).

La confiance dans la relation tutorale est à construire entre le tuteur à distance et l’apprenant. Si la manifestation à aider l’apprenant est une des obligations professionnelles du tuteur, c’est par les interventions qu’il aura envers l’apprenant qu’il lui montrera qu’il est digne de confiance. C’est parce que l’apprenant aura confiance dans le tuteur qu’il pourra plus facilement oser lui demander le soutien dont il a besoin. Si la confiance s’établit progressivement, elle peut se perdre rapidement dès lors que le contrat moral n’est pas respecté. (cf. Le savoir-être du tuteur à distance)

Tenir compte que l’apprentissage est une tâche complexe

La granularisation, l’interactivité, la ludification sont autant de démarches qui veulent rendre l’apprentissage séduisant et prétendument sans effort. Il semble qu’une confusion persiste dans l’esprit de certains entre d’une part l’engagement de l’apprenant (cf. De l’engagement des apprenants à distance dans la relation tutorale) et d’autre part, la séduction. La séduction ne peut servir de viatique pédagogique. L’individu séduit voit sa capacité de réflexion et de raisonnement affaiblie. Par ailleurs, comme l’écrit Sylvie Ann Hart « Apprendre est exigeant et fatiguant ».

Parce qu’apprendre est une tâche complexe, les apprenants doivent bénéficier du soutien d’un tuteur tant pour persévérer que pour maintenir un haut niveau de motivation. Pour ce faire, il est nécessaire que le tuteur soit disponible, attentif aux signes de démotivation, intervienne de manière proactive et réactive sur les plans cognitif, socio-affectif, motivationnel et métacognitif (cf. Des fonctions et des plans de support à l’apprentissage à investir par les tuteurs à distance). Si certaines interventions tutorales ne sont pas prévisibles d’autres le sont et nécessite d’être penser lors de l’ingénierie tutorale.

Accompagner l’expert de contenu lors de la conception d’une formation

Un expert fait rarement un bon pédagogue et la scénarisation ne peut être que la résultante d’une relation entre l’expert et le concepteur qui doit effectivement accompagner et guider. Sur ce point cf. ce clip « Le concepteur pédagogique et l’expert de contenu » 

Lors de la conception, et à plus forte raison lors de la révision des formations, les tuteurs devraient être associés dans la mesure où ils sont les mieux placés pour recueillir les réactions, remarques et critiques des apprenants sur le dispositif (cf. Quel rôle pour les tuteurs dans la conception des digital learning ?

Faire de l’objectif d’apprentissage la pierre angulaire de tout le processus de formation

Tout devrait commencer par les objectifs mais sont-ils de la seule prérogative des concepteurs ? Pour cibler correctement ceux-ci, une analyse des besoins des publics visés permet, au moins partiellement, de passer d’une démarche d’offre à celle d’une réponse à des demandes. Toutefois, le choix des objectifs académiques, ceux retenus par l’institution qui délivre la formation, recouvrent rarement l’ensemble des objectifs personnels des apprenants.

C’est dans le cadre de la relation tutorale que peuvent être conscientisés et exprimés par les apprenants les ressorts personnels qui les ont amenés à suivre une formation, établis les liens entre le parcours proposé et l’utilisation concrète des connaissances qu’ils auront construites. (cf. Aider les apprenants à déterminer leurs objectifs d'apprentissage).

mardi 22 mai 2018

Qui est l’ingénieur tutoral ?




L’ingénieur tutoral est la personne qui réalise les actions d’ingénierie tutorale pour un digital learning, à savoir, définir, concevoir, diffuser et évaluer les services d’accompagnement des apprenants. Ce n’est donc pas un métier à part entière mais plus simplement une fonction qui peut être investie par différents individus.

La plupart des ingénieurs tutoraux sont les concepteurs pédagogiques dans la mesure où plusieurs actions d’ingénierie tutorale sont directement reliées au scénario pédagogique. C’est en particulier le cas du scénario tutoral qui est le résultat de la conception et de la quantification des interventions tutorales structurelles et conjoncturelles.

Toutefois, l’ingénieur tutoral peut également être le chef de projet digital learning qui est la personne qui a la vue la plus panoramique sur le projet.

L’ingénieur tutoral est moins fréquemment, mais peut l’être, le formateur-tuteur lorsqu’il est également le concepteur pédagogique.

Enfin, un poste d’ingénieur tutoral peut être occupé par un expert du tutorat.

Selon les contextes, la taille des organisations, celle des projets, le type d’ingénierie tutorale envisagé (cf. Les différents types d'ingénierie tutorale), l’ingénieur tutoral relèvera de tel ou tel profil.

Quelques compétences à avoir



lundi 14 mai 2018

La Téluq vire-t-elle une brosse ?


Le conflit qui oppose les tuteurs de la Téluq à leur direction ainsi que les prises de position qu’il suscite, telle celle de 63 professeurs, illustrent les différentes manières d’appréhender la formation à distance.

Le conflit en quelques mots

Une nouvelle catégorie d’emploi, les professeurs sous contrat, a été créée par la direction pour remplacer les tuteurs. En l’absence d’une pleine transparence de cette politique, il apparait que le bénéfice attendu soit essentiellement financier. Ainsi, la convention collective des professeurs sous contrat prévoit un volume d’encadrement des étudiants d’une durée trois fois moindre que celle prévue dans la convention collective des tuteurs. De plus, la Téluq sous-traite à une entreprise privée une part croissante des missions des tuteurs.

La prise de position de 63 professeurs affirmant que les tuteurs ne sont ni des professeurs ni des chargés de cours et la réponse de Jean Murdock et Nancy Turgeon, montrent deux visions de la formation à distance.

Pour mieux comprendre cette situation, il n’est pas inutile de revenir sur le process d’une formation à distance dont les étapes majeures sont la définition, la conception, la production et l’implémentation, la diffusion et l’évaluation (cf. Articulation des trois ingénieries d'un digital learning).

Le process d’une formation à distance

La définition d’une formation à distance relève de décisions politiques et s’incarne dans l’ingénierie de formation qui prend en compte différents éléments stratégiques qui échappent à la pédagogie, tels que la politique de l’établissement, la stratégie financière, le modèle économique qui en découle, les contraintes administratives, le suivi du déroulement de la formation, son évaluation… Elle consiste également à conduire un certain nombre d’études et d’analyse préalables portant sur l’identification et la qualification du public visé, les besoins de formation, la concurrence, les contraintes…

La conception relève de l’ingénierie pédagogique et de l’ingénierie tutorale. Elle demande le plus souvent non pas la seule intervention d’un professeur mais également d’experts du contenu, de pédagogues, d’ingénieurs tutoraux (cf. Les interlocuteurs de l'ingénieur tutoral), de scénaristes, d’ergonomes, de technologues, d’informaticiens. Il s’agit donc bien d’une production collective qui ne peut se résumer aux apports du seul professeur. Selon moi, le vedettariat que recherchent certains professeurs intervenant dans des MOOC ne peut servir de viatique pédagogique et encore moins de modèle pour des formations à distance de qualité. À contrario, les retours des tuteurs, qui sont les seuls à être en contact direct avec les apprenants, sur tel module ou activité sont précieux lors de la phase de conception et plus encore lors de la révision de la formation. (cf. Quel rôle pour les tuteurs dans la conception des digital learning ?)

La production nécessite la mobilisation de médiatiseurs utilisant des outils auteurs mais également des vidéastes, des illustrateurs, des infographistes, des bédéistes, des spécialistes du son, des comédiens, etc. Les ressources produites sont alors à assembler dans la plateforme de diffusion en respectant le scénario pédagogique conçu précédemment.

La diffusion aux étudiants nécessite un accompagnement dont les buts principaux sont d’éviter l’abandon en favorisant la persévérance, de faciliter l’atteinte de leurs objectifs académiques et personnels par les apprenants, d’approfondir leur apprentissage par la formulation de rétroactions aux activités et aux travaux évalués. Ces tâches sont celles des tuteurs. En fonction des dispositifs et du dimensionnement des services tutoraux lors de l’ingénierie tutorale, les tâches des tuteurs (cf. Des fonctions et des plans de support à l’apprentissage à investir par les tuteurs à distance) peuvent être orientées différemment mais elles n’en restent pas moins essentielles dans la mesure où c’est à travers elles que la relation pédagogique est établie entre les tuteurs représentants de l’institution et les apprenants.

L’évaluation gagne à associer l’ensemble des acteurs afin d’aboutir à des conclusions utiles à la révision de la formation.

Quelques remarques

Il apparait que la direction de la Téluq organise un désinvestissement certain de l’étape de diffusion. Diviser par trois le temps d’encadrement des étudiants ne peut en aucun cas assurer une qualité accrue de la relation pédagogique. Confier l’encadrement des étudiants à une entreprise extérieure en se séparant des tuteurs employés de tout temps par la Téluq indique a minima un changement de politique qui devrait être explicité et a maxima une recherche de gains financiers sur le dos des étudiants qui sont les bénéficiaires principaux du travail des tuteurs. S’il s’agit d’une politique revendiquée, elle mériterait davantage de transparence qui pourrait se manifester par la publication des termes du contrat confidentiel que la Téluq a passé avec une entreprise privée.

La conception, aussi perfectionnée soit-elle, n’atteint jamais une autoportance (cf. Autorportance des dispositifs FOAD et autonomie des apprenants) parfaite convenant à tous les étudiants quels qu’ils soient. C’est bien pour cela que des taux d’abandon pouvant dépasser les 90% des inscrits sont régulièrement relevés dans les dispositifs sans tutorat. Si la conception peut permettre une certaine individualisation de la formation, seule la relation tutorale autorise la personnalisation de l’apprentissage. A noter également les résultats récents d’une recherche finlandaise, certes consacrée aux modalités présentielles mais dont il est probable qu’elle soit transposable à la formation à distance tant l’isolement de l’apprenant est une source d’abandon, qui conclue ainsi « Au final, l’interaction entre l’enseignant et l’élève influe davantage les résultats scolaires que les outils pédagogiques ou la taille des classes. »

L’affirmation des 63 professeurs, « la majorité des étudiants ne ressentent que très rarement, voire jamais, le besoin d’être accompagnés par une personne tutrice et font donc appel à elle uniquement pour corriger leurs travaux, la plupart du temps. », mériterait d’être étayée par les résultats d’enquête et dénote plus sûrement l’éloignement de ceux-ci avec les étudiants. A noter qu’un récent sondage de l’association étudiante de la TÉLUQ, indique qu’entre 87% et 94% des étudiants de la TÉLUQ ont eu recours à leurs tuteurs. L’affirmation des 63 professeurs est d’autant plus curieuse, que leurs aînés tels Pierre Gagné ne se lassait jamais de préconiser de « moins enseigner pour qu’ils apprennent plus » ou André-Jacques Deschênes qui considérait les rétroactions aux travaux comme un des services les plus importants à offrir aux étudiants (cf. La rétroaction, support d'apprentissage ?). 

Cet autre passage de la lettre des 63 professeurs « «auto-apprentissage» signifie que l’étudiant apprend essentiellement par lui-même ou par elle-même » interroge sur l’approche pédagogique qui est sous-tendue. L’auto-apprentissage semble ainsi considéré comme un apprentissage solitaire, comme un face à face muet avec les ressources qui relève plus du modèle transmissif que du socio-constructivisme dont la Téluq se prévalait (se prévaut encore ?). Faut-il rappeler que l’autonomie de l’apprenant ne peut jamais être un prérequis mais est toujours un objectif que l'apprenant peut atteindre grâce aux interventions d’étayage et désétayage des tuteurs ? (cf. Autonomie : objectif ou prérequis ?).

Il est bien triste, pour un diplômé de la Téluq comme moi, de voir l’évolution actuelle de cette institution. Alors qu’elle a été pionnière dans la formation à distance, la voir céder au primat de la conception et de la médiatisation au désavantage de la médiation (cf. Médiation, médiatisation et apprentissage de Geneviève Jacquinot), être oublieuse de son histoire qui pourrait pourtant être féconde pour toutes les institutions qui investissent aujourd’hui la formation à distance, qui ne peut se résumer aux MOOC, c’est un peu comme « être sur la brosse » (avoir la gueule de bois) sans avoir bu un seul verre.

Je m'autorise donc une suggestion : solliciter l'avis des étudiants sur les orientations actuelles de la direction de la Téluq. En effet, ce sont à eux que la Téluq dans son ensemble devrait d'abord penser. D'une part, parce sans eux il n'y a pas de raison d'être, d'autre part, parce qu'en tant que clients, ils ont un droit de regard sur tout ce qui peut impacter la qualité des formations qui leur sont proposées, à commencer par les services tutoraux.